Decathlon soupçonné d’être lié au travail forcé en Chine : qu'en pensent les clients valaisans ?
Une enquête accuse Decathlon de profiter du travail forcé des Ouïghours en Chine. Les consommateurs valaisans réagissent devant le point de vente de Conthey.

Avec des prix attractifs et une large gamme d'équipements, le géant français du sport low-cost, "Decathlon", attire chaque week-end de nombreuses familles valaisannes. Mais derrière cette réussite commerciale, des suspicions émergent.
Une enquête menée par Disclose et Cash Investigation accuse Decathlon de profiter indirectement du travail forcé des Ouïghours en Chine, une ethnie opprimée par Pékin. Plus précisément, l'enseigne française est ciblée à cause de l'un de ses fournisseurs. Le Qingdao Jifa Group, l’un des principaux fabricants de textiles de Decathlon, est accusé d’utiliser du coton provenant du Xinjiang. Une région où la persécution de la minorité musulmane "Ouïghoure" est documentée.
À la suite de l'enquête, le distributeur "Decathlon" a réfuté les accusations. Tout d'abord, il a confirmé s’approvisionner auprès de Qingdao Jifa mais a déclaré à l’AFP être engagé au quotidien pour garantir l’intégrité et le respect des droits fondamentaux au sein de ses activités et de sa chaîne de valeur. "Nous n'hésiterions pas à réagir et prendre toutes les mesures nécessaires si les faits étaient avérés", ajoute-t-il. La même source indique "que 100 % du coton utilisé" par Decathlon "provient de sources engagées dans des pratiques plus responsables, garantissant l’absence de toute forme de travail forcé".
Réactions de la clientèle
En Suisse, malgré de multiples relances, l'enseigne a refusé de répondre à nos sollicitations. Nous nous sommes donc tournés vers les premiers concernés : les consommateurs valaisans, interrogés devant le magasin de Conthey, l'un des quatre points de vente de l'enseigne dans le Valais romand.
La majorité des personnes sollicitées se disent surprises, voire choquées par ces accusations contre Decathlon. Cependant, les réactions diffèrent quand on leur demande si leur façon de consommer changerait si les accusations s'avéraient fondées. À cette question, deux camps s'opposent.
Le premier groupe rassemble ceux qui s’indignent et qui, par principe, ne remettraient plus les pieds dans les magasins de la marque. Le deuxième, formant la majorité, englobe les clients pour qui le porte-monnaie est décisif quant aux choix des magasins fréquentés. Cependant, ils se réconcilient quand on leur parle de transparence. Tous, ou presque, souhaitent de meilleures informations sur la provenance des produits.
Pour mieux comprendre le contexte global dans lequel baigne l'industrie du textile, nous avons interrogé Dominique Schärer, responsable de communication pour l'organisation "Société pour les peuples menacés".
Quel est le problème spécifique avec le coton qui provient de la région du Xinjiang ?
Premièrement, il faut dire que la situation des droits humains en Chine est généralement catastrophique. C'est quelque chose que démontre de nombreux rapports. Les communautés ouïghoures sont particulièrement touchées par cette politique d'assimilation stricte du gouvernement chinois. Cette communauté est victime de persécutions et de répression. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées sous la contrainte, détenues dans les camps de travail forcé. Elles sont surveillées, menacées et intimidées. Dans ce contexte, il faut savoir que la Chine est le premier fournisseur de coton au monde et la plus grande partie du coton chinois provient de la province du Turkestan oriental, c'est-à-dire du Xinjiang, où la communauté ouïghoure est systématiquement réprimée. Et c'est à cause de ça que pour différentes branches suisses du secteur textile, il existe donc un risque considérable de lien direct ou indirect avec le travail forcé.
Quelles sont les principales violations des droits humains dans l'industrie du textile aujourd'hui ?
L'industrie textile est depuis des décennies dans le viseur des organisations de défense des droits humains et du travail. Parmi les principaux problèmes figurent les salaires, les formes de l'emploi précaires, ainsi que les violations de la liberté d'association. L'extraction des ressources, par exemple du coton, ainsi que les sites de production sont souvent situés là où la fabrication est la moins chère. Les chaînes d'approvisionnement sont longues et complexes, ce qui rend difficile la détection des violations des droits humains et du travail.
Comment une entreprise peut-elle s'assurer du respect des droits fondamentaux dans sa chaîne d'approvisionnement ?
Dans la région du Turkestan oriental, il s'agit du travail forcé organisé par l'État. Les entreprises doivent renoncer à toute collaboration avec ces fournisseurs, faute de contrôles indépendants et face au risque permanent de violations des droits humains. Cependant, il est difficile même pour les entreprises engagées d'éviter d'être associées à des violations des droits humains ou même de travailler avec des fibres en provenance du Turkestan oriental. En effet, ces fibres sont mélangées dans le commerce, où les entreprises de pays tiers fabriquent des produits avec du coton chinois qu'elles revendent après. C'est pourquoi une entreprise seule ne peut jamais résoudre le problème. Il est utile de mettre en place des initiatives où les entreprises de certains secteurs s'engagent ensemble à faire des pas en direction de la durabilité.
Et est-ce que la Suisse a mis en place des lois dans ce domaine ?
Alors que d'autres pays ont introduit des interdictions d'importation pour certains produits en provenance du Turkestan oriental, la Suisse n’en est encore qu’aux débuts sur ces questions. En Suisse, il n'existe aucune loi obligeant les entreprises à identifier et à atténuer les risques de travail forcé dans leurs chaînes de création de valeur. Nous demandons que cela ne se fasse que si les droits humains sont ancrés de manière substantielle dans cet accord. Tout cela montre qu'il est urgent d'agir en Suisse. La nouvelle initiative sur la responsabilité des multinationales serait en pas dans la bonne direction.
Et est-ce qu'une marque aujourd'hui peut assurer la provenance de son coton ?
C'est malheureusement très exigeant, même pour les entreprises qui s'engagent. En effet, les chaînes de production et d'approvisionnement sont très complexes dans le secteur textile. C'est pourquoi il faut des réglementations aussi complètes que possible, qui permettent à tous de lutter à armes égales. Mais c'est en tout cas un pas important si les entreprises s'engagent à la transparence, à des directives contraignantes et à des contrôles indépendants.
Que peuvent faire les consommateurs face à ce problème ?
Les consommateurs peuvent contribuer à orienter le marché, un peu. Ils peuvent demander aux magasins où et comment les produits ont été produits. Ils peuvent s'informer sur les différents labels du commerce équitable et durable, et puis acheter ceux qui les convainquent.