Dix ans de l'accident d'autocar à Sierre : " c'est quasiment une scène de guerre"

Didier Morard
Journaliste

Après l'émotion, le temps des questions. Les familles des victimes de l'accident du tunnel autoroutier de Sierre voulaient des réponses quant aux causes du drame. Dix ans après les faits, retour sur cette enquête hors norme.

Il était au cœur de l'enquête sur l'accident d'autocar de Sierre. Olivier Elsig était de permanence ce soir du 13 mars 2012, lorsque le bus belge est entré en collision à l'intérieur du tunnel autoroutier de Sierre. Le procureur valaisan s'est aussitôt chargé de l'instruction pour établir les causes de ce drame, qui a coûté la vie à 28 personnes, dont 22 enfants.

"Quand j'arrive sur place, on dénombre déjà sept personnes décédées."

Olivier Elsig, procureur

Une décennie après les faits, Olivier Elsig a accepté de revenir sur cette enquête, qui a débuté quelques minutes seulement après le crash. " Dans un accident mortel de ce type, on se déplace sur les lieux. Quand j'arrive sur place, on dénombre déjà sept personnes décédées", précise le magistrat qui ouvre une enquête pour homicide par négligence. " On n'imagine pas au départ que ça peut être un acte volontaire. Donc dans ce type d'enquête, c'est l'infraction qui vient naturellement à l'esprit", explique Olivier Elsig.

"C'est quasiment une scène de guerre parce qu'il y énormément de personnes pour les secours."

Olivier Elsig, procureur

Sur place, le procureur définit avec la Police cantonale des spécialistes d'accident pour le début des investigations : relevé de traces, examen des lieux, prise de photos. "A côté de ça, il y a les secours qui se poursuivent. C'est quasiment une scène de guerre parce qu'il y énormément de personnes pour les secours" se rappelle le procureur valaisan. Au début de l'enquête, aucune piste n'est écartée. "Il faut définir ce qui s'est passé, les vitesses, les trajectoires. On part dans toutes les directions. On fait aussi un appel à témoins, on auditionne les enfants-victimes qui sont en état de l'être et on lance les premières expertises techniques", détaille Olivier Elsig.

"C'est évident par exclusion des autres causes que la cause de l'accident elle est liée au chauffeur."

Olivier Elsig, procureur

Les expertises techniques – menées dans les deux à trois semaines après l'accident – montrent très rapidement que la cause technique peut être exclue. Autre élément qui a tant déconcerté les enquêteurs : l'arrêt de l'autocar sur la bande d'arrêt d'urgence quelques minutes avant l'entrée dans le tunnel de Sierre. " On s'aperçoit avec les disques tachygraphes qu'il y a eu un changement de chauffeur. C'est quelque chose qui nous interpelle. On n'a pas d'explication étant donné que le chauffeur et l'aide-chauffeur sont décédés. L'hypothèse la plus probable, c'est qu'un chauffeur a fait le Val d'Anniviers qui est une route quand même très compliquée, et ensuite qu'il a passé le volant à son collègue", indique le magistrat. La piste technique écartée, les regards se tournent vers le chauffeur. Dès son entrée dans le tunnel, l'autocar a gardé sa vitesse de 100 km/h jusqu'à l'impact, sans aucun freinage. "On n'a pas d'éléments qui démontrent que le chauffeur aurait eu un problème médical massif mais on ne peut pas l'exclure car il y a un certain nombre de malaises, qui ne sont pas détectables dans les autopsies. C'est évident par exclusion des autres causes que la cause de l'accident elle est liée au chauffeur", affirme Olivier Elsig.

Des conclusions sans certitude

Si les causes de l'accident s'orientent vers le chauffeur, plusieurs familles de victime évoquent une tentative de suicide du chauffeur. Elles mettent en avant le traitement antidépresseur que prenait le chauffeur. " Nous avons aussi enquêté sur l'aspect personnel du chauffeur. Ce sont des éléments qui ont été investigués et qui nous permettent de dire que la cause du suicide elle n'est pas privilégiée mais on n'a rien qui permette totalement de l'exclure", avance Olivier Elsig. Les conclusions de l'enquête restent donc floues. Elles s'approchent de la vérité matérielle sans pour autant mettre en avant une cause unique liée à l'accident. Le procureur conclut donc son instruction et part en Belgique présenter ses conclusions aux familles de victime et aux médias.

"Dès le début sur le parking de la police, il y avait 200-300 médias, près du centre funéraire la même chose, donc tout au long, il y a eu une déferlante médiatique. Là on n'est pas préparé mais c'est peut-être mieux parce que finalement on vit les choses un peu naturellement et on ne se pose pas trop de questions", se rappelle Olivier Elsig. Le procureur valaisan estime que cette enquête n'a pas été la plus compliquée de sa carrière, en raison des éléments matériels comme la vidéo-surveillance et la topographie des lieux. Il relève toutefois que la charge émotionnelle a été grande durant l'instruction : " la charge émotionnelle, le contexte et les éléments médiatiques ont rendu l'affaire extraordinaire."

"Il y a plusieurs hypothèses, plus ou moins farfelues, qui m'ont été soumises."

Olivier Elsig, procureur

En 2020, rebondissement dans l'affaire malgré le classement du dossier. Une nouvelle hypothèse est évoquée dans un journal belge. Selon ce quotidien, le chauffeur aurait essayé de retirer sa veste au volant. Il se serait alors coincé les deux bras. " Je n'ai jamais été saisi d'une demande de réouverture d'enquête. Il y a plusieurs hypothèses, plus ou moins farfelues, qui m'ont été soumises. A un moment donné, c'était le chauffeur qui aurait mis un DVD, il y a cette théorie de la veste. Ça me paraît des théories plutôt farfelues", estime Olivier Elsig, qui précise qu'une réouverture d'enquête serait possible uniquement en cas de nouveautés." Il faudrait des éléments nouveaux qui permettent de diriger notre enquête contre des tiers encore vivants, parce que la procédure pénale ne poursuit pas les personnes décédées", conclut Olivier Elsig.

Vendredi : dernier épisode de notre série consacrée aux dix ans de l'accident d'autocar de Sierre. L'ambulancier Frédéric Pralong et le médecin Stéphane Oggier seront nos invités pour évoquer le travail des secouristes.

DM
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