Laisser une partie du vignoble au profit de la culture de chanvre: rentable, ridicule, ou tabou?
Abandonner une partie du vignoble au profit d'autres cultures, comme le chanvre... En Valais, des viticulteurs se lancent pour varier leurs sources de revenus. Mais le phénomène reste encore tabou et marginal.

Abandon de terrains viticoles. Prix des domaines bradés. Rentabilité du vignoble insuffisante. Ces réalités prennent de l’ampleur en Valais et préoccupent les professionnels de la branche. Depuis 2019, 75 hectares de vignes ont été perdus, selon l’Office valaisan de la viticulture. 5 hectares de plus font actuellement l’objet de décisions. Un guide d’arrachage des vignes a récemment été élaboré par l’Etat du Valais. Tandis qu’à Savièse, un plan est lancé pour « sauver le vignoble ».
"En attendant que le marché aille mieux"
Dans la foulée, le chanvrier Bernard Rappaz y voit un filon. Qu’il s’agisse de combler les parcelles vacantes, ou de permettre aux vignerons d’élargir leurs activités, il promeut la culture du chanvre comme une alternative ou un "à côté", en attendant que le marché du vin se porte mieux. Dans une lettre adressée aux politiques, le Saxonain et ancien vigneron appelle les autorités à changer la loi sur la viticulture. L’idée étant de permettre aux professionnels d’arracher leurs ceps sans quitter le cadastre dit "viticole". Histoire de "pouvoir attendre un marché viticole à nouveau florissant."
Sans intérêt, dit la FVV
Que Bernard Rapppaz prêche pour sa paroisse ou non, l'idée laisse plutôt indifférente la Fédération valaisanne des vignerons (FVV). D’autant que la législation laisse déjà 10 ans aux viticulteurs pour retourner à la culture du raisin. "Je ne vois pas l'intérêt de planter ce genre de cultures sur nos terrasses, s'interroge Anne-Laure Paccolat Décaillet, co-présidente de la FVV. Je vois plutôt ça dans des grandes cultures. Si des parcelles sont abandonnées chez nous, il s'agit plutôt de terrains difficiles d'accès, de travail et sans irrigation, donc pas idéal."
Globalement, la co-présidente de la FVV ne voit pas de nécessité de réduire la taille du vignoble valaisan. "On produit certes trop de vin par rapport à la demande du consommateur suisse, mais pas par rapport à la consommation globale. Le problème vient surtout de la concurrence étrangère, qui occupe une grande partie du marché."
Sujet tabou et stigmatisé
Reste que le Valais n’est pas dénué de viticulteurs-chanvrier. Certains se lancent pour élargir leurs activités, d'autres pour trouver d’autres sources de revenus. Sauf que des personnes contactées, aucune n’a souhaité s’exprimer.
"Les producteurs de cannabis sont toujours dans une zone grise législative"Lucien Glassey, gérant d'un magasin spécialisé dans le CBD
Lucien Glassey est gérant du magasin Wallis Root’s à Conthey, spécialisé dans le commerce du CBD. S’il compte des viticulteurs parmi sa clientèle, auxquels il vend des engrais ou fournit des conseils, il n’est pas étonné de leur réticence à en parler. "Même légale, la culture du CBD véhicule toujours des tabous, observe Lucien Glassey. Et force est de constater que les producteurs sont toujours dans une certaine zone grise au niveau de la loi, parce que rien n'est jamais limpide quand il s'agit de cannabis". Notons d'ailleurs qu'une entité est récemment née en Valais pour régler ce manque de clarté et appuyer les intérêts des producteurs: l’OVIC - Organisation valaisanne pour les intérêts du chanvre.
Et au-delà de l'image et de l'administration, le chanvre est-il plus rentable, économiquement parlant? "Il pourrait l'être, ose dire Lucien Glassey. Moyennant plusieurs conditions." L'entrepreneur mentionne la qualité du terrain choisi et le savoir-faire du cultivateur à acquérir, pour avoir une production rentable. Sans compter la chute du prix du chanvre depuis la légalisation du CBD. "Mais au niveau des variations climatiques et des risques de pertes d'exploitation, la culture du cannabis est une valeur plus sûre que celle du vin, ce qui rend le filon intéressant."
"Les critiques s'estompent avec le temps"
Citons quand même le nom de Christopher Vuignier, 26 ans et fils de vigneron encaveur. A l’heure de récupérer les terrains familiaux, il a d'abord hésité à reprendre la cave, avant de se lancer à 100% dans la culture du CBD. Les vignes, elles, ont été vendues.
"Au début, on ne me prenait pas au sérieux"Christopher Vuignier, cultivateur de CBD
Le jeune entrepreneur n’a que faire des critiques sur son business, qui d’ailleurs sont de moins en moins nombreuses, dit-il. "Au début, les gens ne me prenaient pas au sérieux, admet le jeune entrepreneur. Mais ils voient de plus en plus que mon affaire est florissante et aujourd'hui, les discours sont très différents. Même mon père me dit que j'ai eu raison de choisir cette voie", ajoute-t-il en riant.
En 2021, le Valais comptait 4,6 hectares de chanvre inscrits auprès de du canton pour les paiements directs.