Ordre du temple solaire : les douloureux souvenirs des pompiers 30 ans après
Il y a trente ans, le drame de l'Ordre du temple solaire secouait Slavan et Cheiry, avec respectivement 25 et 23 morts. Deux pompiers, présents en Valais et à Fribourg, témoignent dans le cadre de notre série sur les 30 ans de la tragédie.
Il y a 30 ans, se déroulait en partie en Valais le drame de l’Ordre du temple solaire (OTS). Rhône FM vous propose cette semaine plusieurs témoignages, parfois inédits, de ceux qui ont vécu la tragédie de près cette nuit du 4 au 5 octobre 1994.
Trente ans après, ils n'ont rien oublié de ce drame. L’ampleur de la tragédie frappe les esprits, la plupart des gens en âge de l’avoir vécu s’en souviennent aujourd’hui encore. "Toute la nuit, on a lutté contre l'incendie", explique Frédéric Pollo, pompier-volontaire à Cheiry, dans la Broye fribourgeoise. Au matin, dans une annexe qui n'a pas brûlé, les corps sont retrouvés. "Je découvre une vingtaine de cadavres. J'ai l'impression alors que ce sont des mannequins", se rappelle Frédéric Pollo. À Cheiry, 20 des 23 victimes portent des impacts de balles, presque tous à la tête. Les corps sont enveloppés dans des habits de cérémonie.
À peu près au même moment, un chalet prend en feu à Salvan, au-dessus du village de Granges. Remplaçant du commandant des sapeurs-pompiers de Salvan, Dominique Fournier, habite à proximité. Il est alerté et se rend sur place. En route, il entend une explosion dans les chalets de Luc Jouret et de Joseph "Jo" di Mambro, les gourous de la secte. "Notre première mission était d'éviter la propagation du feu dans les autres chalets", explique Dominique Fournier. Les pompiers de Salvan écartent rapidement l'idée d'une présence humaine dans les chalets. Un écriteau, collé sur le portail, indique un retour le lendemain. Un leurre.
La découverte de l'horreur
Les pompiers pénètrent, Dominique Fournier en tête, dans le chalet de Jo di Mambro, qui ne présentait pas de signes extérieurs d'incendie. Les plafonds s'étaient écroulés. Les débris jonchaient le sol. "Dans les chambres du fond, je découvre les premiers cadavres, des gens enlacés dans le lit", se remémore Dominique Fournier. Il poursuit : "je ressors et je dis à tout le monde de faire attention car on ne savait pas ce qu'il y avait sous les gravats, peut-être des personnes".
Les pompiers explorent ensuite les étages supérieurs par le balcon. Les volets sont cloués, des fils électriques dépassent. "On se pose des questions", avoue Dominique Fournier. Les pompiers forcent l'entrée. La fumée stagne à environ un mètre du sol. "Sous cette fumée, je découvre une lignée de cadavres", raconte le pompier.
À la mezzanine, Dominique Fournier tombe sur une mise à feu, un corps de chauffe qui baigne dans un produit inflammable. Alerté, tout le monde ressort du chalet pour s'assurer de la mise hors circuit de l'électricité. "Je suis retourné dans le chalet et j'ai découvert le corps de Jo di Mambro et de quelques autres membres, tous morts", récite Dominique Fournier.
La découverte de l'OTS
Le lendemain, les autorités canadiennes annoncent la découverte de cinq cadavres carbonisés dans un chalet de Morin Heights. Un village qui se trouve à une heure de route de Montréal. Rapidement l’enquête met un nom sur le dénominateur commun de la tuerie : l’Ordre du temple solaire. Une secte apocalyptique, dont les membres semblent s’être donné la mort pour atteindre une autre dimension. Les deux fondateurs de la secte, Luc Jouret et Joseph «Jo» di Mambro, périssent avec leurs adeptes. À Salvan, ils étaient bien connus de tous. "On les croisait dans les commerces du village. Ces gens n'ont jamais causé de problèmes réels. Si ce n'est des interrogations sur ce qu'il se passait au niveau de ces deux chalets. Ils étaient complètement isolés", se rappelle Dominique Fournier.
Trente ans après ce drame, les souvenirs du remplaçant du commandant des pompiers de Salvan, sont intacts. "Je ne suis pas hanté par cette intervention. Les images sont imprimées dans ma tête et elles ressortent quand j'en parle", se confie Dominique Fournier. "Mais, je peux en parler librement", ajoute-t-il.
Ce drame qui a emporté, de gré ou de force, 53 personnes en Suisse et au Canada le 5 octobre 1994 n’est pas demeuré sans suite. En décembre 1995, seize corps calcinés sont retrouvés dans le Vercors, en France. Et en mars 1997, cinq autres cadavres, calcinés, eux aussi, sont découverts au Canada. Tous sont liés à la secte.
Les dessous de l'OTS
En 1989, la secte de l'OTS comptait 442 membres, français, suisses et canadiens pour la plupart. Le mouvement présentait l'image d'une communauté d'hommes et de femmes proches de la terre, de la nature, vivant dans le bonheur. Mais derrière la façade se cachait une réalité plus obscure. Les deux gourous faisaient croire à un cercle d'initiés qu'ils appartenaient à une élite pouvant survivre à l'apocalypse.
Le cocktail mystico-ésotérico-religieux servi par Jo di Mambro à grand renforts d'effets spéciaux suffisait pour rassembler la plupart des adeptes, jusqu'à la condamnation au Canada de membres de la secte pour détention illégale d'armes. Certains pourvoyeurs de fonds se sont retirés, l'argent a commencé à manquer. Les gourous ont alors préparé l'adieu à ce monde, le "transit vers Sirius".
Sur le plan judiciaire, en Suisse, le dossier a été clos le 18 août 1998 par arrêt de l’ex-Chambre d’accusation du Tribunal cantonal fribourgeois. En Valais, l’affaire a été classée en octobre 1995.
Les tragédies de 1994 à Cheiry et Salvan n'ont guère eu de suites en Suisse sur le plan judiciaire ou législatif. Le Conseil fédéral n'a pas jugé nécessaire de définir une politique en matière de sectes. Après le drame du Vercors, la France s'est en revanche dotée d'une loi qui renforce la prévention et la répression contre les sectes portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.