La ligne Martigny-Châtelard, trait d'union emblématique entre haut et bas de la vallée du Trient

La vallée du Trient joue décidément sur plusieurs plans.  Alors qu’elle démarre sur le district de Saint-Maurice, d’abord à Vernayaz, puis à Salvan et Finhaut, elle se permet une petite infidélité sur le district de Martigny en poussant son territoire sur la Commune de Trient. Non contente d’être à cheval sur deux districts, elle se veut également binationale, puisque la vallée s'octroie même un écart en France en embrassant Vallorcine après avoir enjambé la frontière au Châtelard.

Pourtant, mis à part la rivière du Trient, un seul lien unit le haut et le bas de la vallée en ligne directe: le Mont-Blanc Express. Ou, comme on l'appelait avant, la ligne Martigny-Châtelard. «C'est une vallée très particulière, parce qu'on n'a pas de route qui la traverse de haute en bas, remarque François Jacquier, président et fondateur des trains nostalgiques du Trient. C'est sûr, ça ne facilite pas toujours la vie, mais c'est aussi ça le charme du coin. Et cela a certainement permis au train de survivre. La situation aurait probablement été très différente s'il y avait eu une belle route tout le long.» Il faut dire qu'entre le Trétien et Finhaut, seul un passage est accessible aux petits véhicules, nous dit cet amoureux de la vallée. «Et encore, il faut une autorisation.» La route doit donc se faire en train, ou alors en passant par le col de la Forclaz.

Il y a eu des oppositions. Les gens avaient peur et se demandaient à quoi allait ressemble cette espèce de cheval de fer.

François Jacquier, président et fondateur des trains nostalgiques du Trient.

La ligne a été construite en à peine quatre ans, il y a 116 ans. «Une prouesse, vu la topographie de la région», réagit François Jacquier. Le train mêle système à adhérence et à crémaillère pour gravir les pentes aiguës. Il prend son temps, puisque sa vitesse est d’environ 35km/h, encore moins sur les versants abrupts. Il aura pourtant fallu que certains croient en «cette folie» pour qu'elle voie le jour à l'époque. « On a retrouvé des documents qui ont révélé que les habitants du coin n'étaient pas très favorables à la construction de cette ligne. Il y a eu des oppositions. Il faut se rappeler qu'à l'époque le train n'était pas du tout encore connu. Les gens avaient peur et se demandaient à quoi allait ressemble cette espèce de cheval de fer, cette bête sur rails.» 

Il faut dire qu'au départ, la ligne n'était pas du tout vouée à la population de la vallée. Les objectifs étaient avant tout touristiques «à destination de la bonne société britannique qui voulait aller dans les hôtels de luxe à Chamonix», rappelle le spécialiste. Les populations de montagnes ne sortaient alors que très peu de leur vallée. «elles travaillaient pour vivre et n'avaient pas l'argent pour voyager en train.» C'est n'est que plus tard, – avec l'augmentation du niveau de vie et surtout après les guerres mondiales – que la population valaisanne s'est également mise à l'utiliser. 
Mais au-delà de l’intérêt touristique pour la région, la ligne Martigny-Châtelard a aussi boosté le marché du travail et participé à la création du fameux barrage d’Emosson. «Mon père et mon grand-père ont tous deux été employés de la compagnie ferroviaire», explique avec fierté François Jacquier. 

Des bourgeoises anglaises et du ciment

Les vieilles dames toutes de bois et de ferrailles vêtues – jalousement préservées dans un entrepôt de Martigny – seraient les mieux placées pour raconter l'histoire de la région, nous dit François Jacquier. Car après avoir acheminé la bonne bourgeoisie européenne vers Chamonix aux prémices du siècle passé, certaines sources évoquent également le transport de troupes et de matériel pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elles ont également très vite été de puissantes bêtes de somme lorsqu’il s’est agi de construire les barrages de la vallée. 

«Dans les années 20, les CFF ont érigé l'ouvrage de Barberine qui est désormais noyé dans le lac d'Emosson. Et puis il y a l'usine de Châtelard – qui fournit une bonne partie du courant pour les trains suisses. Il n'y avait quasiment pas de camions à cette époque. Enfin, dans les années 70, la compagnie de chemin de fer a acheté des wagons spéciaux pour acheminer le ciment du barrage d'Emosson de Martigny à Finhaut. Donc oui, la ligne a largement participé à la construction des ouvrages hydroélectriques de la région.»