D'anciennes employées de la Clinique Bernoise Montana dénoncent d’importants dysfonctionnements
Mobbing, harcèlement, politique de la peur et démissions en série. Des anciennes employées dénoncent d’importants dysfonctionnements à la Clinique Bernoise de Crans-Montana, menant à de potentielles maltraitances. La direction admet des difficultés: un audit externe a été commandé. Notre enquête.

«Tant que l'on acceptait tout, que l’on ne disait rien, tout allait bien, raconte Jennifer*. Dès le moment où l'on commençait à se poser des questions sur nos contrats, que l'on demandait des cahiers des charges précis, cela se gâtait sérieusement.». La clinique bernoise de Crans-Montana est en ébullition. Rhône FM a rencontré plusieurs anciennes employées. Elles parlent de dialogue rompu et de management de la peur: des défaillances qui auraient mené jusqu'à des suicides de patients.
Pour les témoins que nous avons rencontrés lors de ces 6 derniers mois, ces incidents sont des événements marquants, tragiques, qui ne sont, en réalité, que le sommet de l’iceberg. Elles dénoncent: mobbing, harcèlement, burn-out, démissions en série et maltraitance présumée envers les patients qui ont, selon elles, rythmé leur vie à la Berner Klinik Montana (BKM), nous vous en faisons le récit.
« Le coût humain a été beaucoup trop important »
Perché sur le Haut-Plateau, la clinique bernoise de Montana est un établissement de réadaptation médicale et neurologique. Elle peut accueillir des patients de toute la Suisse et offre des contrats de prestations spécifiques à différents cantons et en particulier à celui de Berne. Depuis 2012, cette fondation est intégrée à la liste hospitalière valaisanne (voir encadré).
«C’est une très bonne clinique, estime Constance*. J’ai eu beaucoup de plaisir à y travailler. Mais cette période de Covid a été une excuse pour des réorganisations structurelles qui sont allées beaucoup trop loin et à un coût humain beaucoup trop important.» Pour elle, la situation s’est petit à petit dégradée, jusqu’à ce que cela devienne insoutenable.
Pour preuve, elle se saisit d’un classeur et pointe du doigt des photos de collaborateurs et collaboratrices : «Celle-ci a démissionné, celle-là aussi, elle par contre est restée en poste, celle-ci s’est fait virer, lui est parti, elle aussi» et ainsi de suite, faisant des croix sur les personnes qui ne sont plus en poste actuellement.
« A peu près deux tiers de mon secteur a démissionné. A un moment, dans la clinique, c’était à peu près un départ par semaine».
Constance*, ancienne employée de la Berner Klinik Montana
D’autres sources estiment que les trois-quarts de la clinique sont partis ces quelques dernières années, tous services confondus. Chez les cadres, ce serait même jusqu’à 80-90%. Selon Jennifer*, «même chez les nouveaux arrivants, il y a déjà eu beaucoup de départs. Les gens ne tiennent pas sur la longueur.»
«Nous n'avons pas du tout les mêmes chiffres que vous»
Pour réagir à ces témoignages, le directeur de la clinique bernoise de Montana, Benoît Emery nous accueille en présence de la responsable des ressources humaines et son responsable marketing. «Les chiffres donnés dans vos témoignages ne correspondent pas aux miens, répond le directeur de la clinique. Notre taux de rotation en moyenne est de 20% par année.»
Pour lui, ce «turn-over» se justifie d’ailleurs assez facilement: premièrement, la clinique bernoise est une entreprise formatrice. Des apprentis, des stagiaires ou de jeunes médecins passent par Crans-Montana. Certains y commencent leur carrière puis ils décident de voir ailleurs. «Concernant les licenciements, nous en avons compté cinq l’année dernière. Cela correspond à notre moyenne. Souvent, ces ruptures de contrat sont liées à la non-atteinte des objectifs ou à des problèmes liés à des patients. Nous sommes très stricts sur ce point, nous ne prenons aucun risque. Toutes ces personnes ont par ailleurs retrouvé un emploi.»
L'émotion face à la dureté des propos
Constance* analyse pourtant la situation de manière très différente : «J’ai entendu la direction dire qu’elle voulait du sang neuf. Il y avait bel et bien une volonté de changement ». Pour elle, il ne s’agit pas départs naturels, ni d’un tournus sain. Les mots «dictature» et «système autoritaire» sont utilisés.
«On rasait les murs pour aller frapper à la porte des RH. Il ne fallait surtout pas être repérées en tant que personne qui se plaint autrement on risquait des blâmes.»
Jennifer*, ancienne employée de la Berner Klinik Montana
Benoît Emery parait ému lorsqu’on lui fait part de ces termes, très durs. Plusieurs fois, il répète : «ma porte et celle des ressources humaines sont toujours ouvertes pour discuter des potentiels problèmes ; les critiques permettent de faire avancer l’entreprise», dit-il.
Sauf qu’à l’exemple de Jennifer, l’anxiété est plus forte : «Plusieurs personnes sont allées discuter avec les RH. Mais c’était toujours la même chose, si l’on essayait de prendre la parole, on risquait des représailles, affirme-t-elle. On rasait les murs pour aller frapper à la porte des RH. Il ne fallait surtout pas être repérée en tant que personne qui se plaint autrement on risquait des blâmes : pas pour avoir parlé, mais pour des motifs qui n’avaient rien à voir.»
Des procédures qui ne semblent pas avoir fonctionné
Face à cette liste de griefs, Benoît Emery énumère les possibilités d’action au sein de l’entreprise. «Si un lanceur d’alerte n’ose pas se présenter physiquement, nous avons un outil technique, le critical incident reporting system, un dispositif confidentiel qui permet de détailler un problème et de proposer des pistes d’amélioration.» Il regrette que ce mécanisme n’ait pas été utilisé dans les cas cités.
Pourquoi ces outils n’ont pas fonctionné dans ces situations ? Plusieurs témoins disent ne pas avoir eu connaissance de ces procédures. Reste que les termes de peur, de mal-être et de perte de confiance reviennent dans les discours jusqu’à parfois évoquer des situations de mobbing.
Du mobbing au burn-out en série
«Dire les choses ne servait à rien, reporte Constance. C’était parfois même pire. J’ai été isolée professionnellement et j’ai fini par devenir fragile, «zerbrechlich», détruite. Sans mon entourage, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui.» Le diagnostic de burn-out est posé chez Constance et Jennifer. Les deux femmes ont dû avoir recours à l’aide de professionnels, allant jusqu’à la prise d’anti-dépresseurs. Quand elle en parle, Constance a la voix qui s’étouffe et les mains qui tremblent. Elle dit pourtant s’en être remise. Que ce soit des cassures claires ou des congés pour surmenage, toutes s’accordent sur le fait que ces parenthèses de maladies sont monnaie courante.
«Sans mon entourage, je ne sais pas où j’en serai aujourd’hui.»
Constance*, ancienne employée de la Berner Klinik Montana
«Je n’ai pas observé d’augmentation significative des burn-out ces derniers temps, réagit le directeur de la clinique. Il y en a de manière récurrente. Mais souvent un burn-out, c’est un mélange entre vie professionnelle et vie privée. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, car l’employeur n’a pas la possibilité de connaître les raisons des absences maladie de ses employés. Tout ce que je sais, c’est qu’actuellement, j’ai douze collaborateurs sur 220 qui sont en congé maladie pour des covid longs, des congés maternité ou des maladies dites graves.»
Des accusation de maltraitance par négligence
Pour Jennifer, les problématiques soulevées affectent les patients. « Ramasser des thérapeutes ou des soignants en crise, en pleurs, ce n’est pas normal», raconte-t-elle.
Mais selon elle, cela ne s’arrête pas là : par manque d’effectif, certains patients n’ont pas pu avoir les prestations inscrites sur leur programme : «Beaucoup n’ont pas la possibilité de se déplacer, il faut donc aller les chercher dans leur chambre, détaille-t-elle. Sauf que les personnes chargées de le faire, n’ont tout simplement pas assez d’heure dans la journée.» Certaines sources affirment que cette surcharge de travail implique parfois que les patients dorment dans leur urine ou se déshydratent par peur de devoir appeler pour aller aux toilettes. «Les patients les plus lourds étaient souvent ceux dont on avait le plus de peine à s'occuper», regrette Charlotte*.
Benoît Emery a connaissance de ces situations. «Prenons l’exemple des questions d’urine. Nos infrastructures ont un certain âge et une partie des patients doit se déplacer de l’autre côté du couloir pour atteindre les toilettes. Nous traitons des patients hautement complexes, des patients neurologiques qui n’ont pas forcément la rapidité de partir de leur lit pour atteindre les toilettes. Nous avons prévu des investissements pour mettre les toilettes dans les chambres.»
Autre élément: «Nous nous sommes rendus compte que nous avions eu des sondes urinaires défectueuses pendant une longue période. Les soignants remarquaient le matin que les poches avaient explosé. Dans tous les cas, lorsque cela arrive la nuit, les infirmiers respectent le sommeil des patients, nous n’allons donc pas leur demander de vérifier si les draps sont mouillés à n’importe quelle heure.» Benoît Emery refuse d’utiliser le mot «maltraitance». Pour lui, ce terme est trop fort par rapport aux situations vécues.
Jusqu'à des suicides?
«Avec une prise en charge adaptée, des suicides auraient pu être évités, réagit Charlotte. Lors que j'y étais, en 6 mois, cinq patients se sont donné la mort en sautant des balcons. Il s'y passe des choses très graves. C’est pour cela que j’ai décidé de témoigner.»
L’ambiance est lourde du côté du personnel médical: le 2 mai dernier, un patient de la clinique de réadaptation est retrouvé dans le lac de Chermignon à Crans-Montana. Si le directeur de la BKM confirme que ce Bernois était bien hospitalisé dans son établissement, les circonstances du drame ne sont pas encore établies. Une enquête est en cours. Selon lui, cinq suicides ont eu lieu en dix ans, ce dernier décès n'en fait pas partie.
«Le service de psycho-somatique, chargé de ces patients, n’est pas adapté aux cas lourds, détaille Charlotte. Il y a des critères clairs pour accepter un patient ou non et la direction le sait. Mais pour des questions de rentabilité, nous avons parfois accueilli de personnes qui auraient eu besoin de services de psychiatrie, ce que nous n'avons pas.»
Un audit externe commandé
Dans cette salle de conférence de la clinique, il dit entendre le mal-être témoigné. Mais pour lui, les justifications sont assez claires. Une partie des difficultés est liée aux changements tarifaires dans le milieu de la réadaptation suisse «qui nous poussent à travailler sur les meilleures pratiques médicales du jour et qui nous amènent à réfléchir comment traiter au mieux chaque patient. Et ce changement peut faire peur. Les techniques d’aujourd’hui ont évolué. Ce que vous avez appris il y a 20 ans n’est peut-être plus le même.» Il comprend donc que cela a pu insécuriser.
«Les techniques d’aujourd’hui ont évolué. Ce que vous avez appris il y a 20 ans n’est peut-être plus le même. Les changements peuvent insécuriser.»
Benoît Emery, directeur de la Berner Klinik Montana
Autre explication aux difficultés vécues par le personnel: le covid. Une situation complexe qu’il a fallu prendre au sérieux très rapidement. Il admet que parfois, la communication a pu être difficile puisque tout le monde était isolé.
Aujourd’hui, le directeur de la clinique veut trouver des solutions et présenter une image positive de sa clinique. La situation semble pourtant loin d’être rose puisqu’un lanceur d’alerte vient de faire remonter à la direction des situations de mobbing et de harcèlement à l'interne, aux dire de Benoît Emery. «Nous avons ordonné un audit externe dans l’entreprise. Nous sommes en discussion pour déterminer exactement le mandat, mais cela va démarrer tout bientôt.»