Durant tout l’été, à l’occasion du «Raiffeisen Rhône FM Tour», le service des sports part à la rencontre de personnalités valaisannes qui font vivre leur discipline. Ce mercredi 4 août, c’est le lutteur Tanguy Darbellay qui était notre invité en direct de Martigny. Sacré champion de Suisse dans la catégorie des 80 kilos le mois dernier, il est revenu en notre compagnie sur un moment bien moins festif de son parcours.
«Avec mon cerveau suisse, je m’étais dit que d’aller manger dehors ne poserait aucun souci. Je me suis fait avoir comme ça»Tanguy Darbellay
C’était il y a près d’un an jour pour jour. Nous sommes le 10 août 2020 lorsque le Martignerain, établi depuis l’automne précédent en Biélorussie pour y poursuivre sa progression sportive et étudier le russe se retrouve confronté à la réalité de son «pays d’adoption». Alors qu’il rentre d’un repas au restaurant, il est interpellé par la police en marge des manifestations qui suivent la réélection du président Alexandre Loukachenko. «Avec mon cerveau suisse, je m’étais dit que d’aller manger dehors ne poserait aucun souci comme les résultats devaient tomber le lendemain», se souvient-il. «Sauf qu’il semblerait qu’en Biélorussie, avant même l’annonce des suffrages, il vaut mieux rester chez soi. Je me suis fait avoir comme ça.»
À 21 ans, Tanguy Darbellay est alors conduit dans un fourgon qui l’emmène directement dans une prison de Minsk. «À ce moment-là, beaucoup de pensées se mélangent dans ma tête», souffle-t-il. Derrière les barreaux, une délimitation claire se fait entre les détenus locaux et étrangers. «On n’avait pas droit au même traitement. Tout le monde a pu voir dans les médias le sort qui était réservé aux Biélorusses, notamment sur le plan physique. De notre côté, on a été plutôt épargnés par ça donc on peut s’estimer heureux.»
«J’ai perdu entre cinq et six kilos. J’avais presque l’impression d’être dans un camp de préparation avant un rendez-vous important»Tanguy Darbellay
Si contrairement aux locaux, le Martignerain n’a donc pas vu les hématomes apparaître chaque jour un peu plus sur son corps, il avoue que celui-ci a quand même été mis à l’épreuve. «J’ai perdu entre cinq et six kilos. J’avais presque l’impression d’être dans un camp de préparation avant un rendez-vous important», sourit-il. «Mon quotidien était mouvementé, je ne mangeais pas grand-chose et je dormais très peu.»
Tanguy Darbellay est resté cinq jours en prison avant d’être libéré, grâce notamment à l’implication d’Igniazio Cassis, le conseiller fédéral en charge du département des affaires étrangères. Cinq jours durant lesquelles il assure n’avoir pas ressenti de peur particulière. «De quoi aurais-je dû avoir peur? Dans ces conditions, on cherche déjà à respirer, à dormir un peu. On n’a pas le temps de réfléchir et d’avoir peur de ce qui nous arrive. On sait où on est donc on a pas le choix, il faut s’adapter et attendre.»
«À mon retour en Suisse, j’ai eu une période compliquée. J’étais un peu parano»Tanguy Darbellay
Et si l’attente de la sortie a duré moins longtemps pour le Martignerain que pour d’autres détenus, ce dernier ne cache pas que cet épisode a laissé des traces dans son esprit. «Tout le monde en ressort marqué, c’est inévitable. À mon retour en Suisse, j’ai eu une période compliquée. J’étais un peu parano. Mais bon, heureusement, ça passe gentiment.»
Si d’un point de vue mental, les conséquences de cette mésaventure semblent donc s’estomper, Tanguy Darbellay explique que son passage en prison a eu d’autres incidences encore: «Peu après mon retour en Suisse, j’ai reçu une lettre à mon domicile en Biélorussie. Celle-ci me notifiait de l’annulation de mes documents de séjour. J’ai fait des recours, avec l’aide de l’université d’Etat dans laquelle j’étudiais et du Consulat suisse. Cela n’a malheureusement rien donné et j’ai reçu l’information que j’étais radié du territoire biélorusse jusqu’en 2025.»
Interdit de retour à Minsk, le Martignerain l’est aussi, à sa grande surprise, d’entrée sur le sol russe sur lequel il n’a pourtant jamais posé les pieds. Problème: c’est en Russie justement que les championnats du monde de lutte auront lieu en 2023. D’ici là, il l’assure, il luttera corps et âme pour que cette sanction injuste soit abolie.
L'interview complète de Tanguy Darbellay à écouter ici: