Portrait du mois: Camille Bournissen, la montagne par passion

Le départ de la 23ème Patrouille des Glaciers est repoussé de mardi à mercredi soir. Camille Bournissen a relancé cette épreuve mythique en 1984, après 35 ans d'interruption, et l'a dirigée jusqu'en 2000. Portrait.

La rencontre se fait à Pralong, sur la terrasse d’un restaurant offrant une vue imprenable sur le barrage de la Grande Dixence. «J’ai travaillé plus de septante jours pour sa construction», lance Camille Bournissen. Le natif d’Arolla, aujourd’hui âgé de 84 ans, a donc presqu’autant façonné une région qui l’a façonné. Et qui a fait naître chez lui une passion immuable pour la montagne. «Elle permet d’apprendre à connaître ses propres limites», dit-il avant de citer l’alpiniste italien Guido Rey: «L’important n’est pas de savoir ce que vous faites en montagne, mais ce que la montagne a fait de vous.» Et qu’a-t-elle fait de Camille Bournissen? «C’est personnel et je ne souhaite pas l’étaler à la radio.» Concentrons-nous alors sur ce que Camille Bournissen a fait en montagne. Même si, on l’a compris, ce n’est pas le plus important. 

A 10 ans, la révélation

Son premier souvenir marquant date de ses 10 ans. Son père est occupé à la construction de la cabane des Aiguilles Rouges, au-dessus d’Arolla. Le jeune Camille, en vacances estivales, y passe dix jours et découvre la vie en altitude. «Un dimanche, nous sommes allés jusqu’à Pra Gra et j’ai vu Arolla depuis en haut. Ça a été une révélation incroyable.» Le chemin menant au métier de guide semble tout tracé. Et pourtant. «Mon grand-père, mon oncle et mon père l’étaient et sont décédés en montagne. Donc pour ma famille, et surtout pour ma mère, il était impensable que j'en fasse mon travail après ces tragédies.» Camille Bournissen essaye de trouver une autre voie. Mais l’attrait est trop fort, la passion trop ancrée. «Tout me ramenait constamment à la montagne. A 28 ans, j’ai passé le cours pour être guide.» 

«La Dent-Blanche exerçait par sa forme de pyramide, par son éloignement et par son inaccessibilité, un attrait vers l’impossible, vers l’inconnu.» Camille Bournissen 

Durant sa carrière, Camille Bournissen devient vice-président de l’association suisse des guides de montagne. Il supervise la formation des premiers guides au Pérou. Sans jamais oublier son Val d’Hérens natal. Et plus particulièrement la Dent-Blanche (4358 m), dont il a été le premier à gravir la face nord en solitaire et en hiver, en 1968. «C’est le sommet que je voyais tous les matins en me levant. Il exerçait par sa forme de pyramide, par son éloignement et par son inaccessibilité, un attrait vers l’impossible, vers l’inconnu. Réussir à en gravir la face nord m’a permis de me mesurer à quelque chose d’exceptionnel.»

Le souvenir de son père inquiet

Les mots sont forts et choisis avec humilité. Laissent-ils la place à un sentiment de fierté pour l’accomplissement réalisé? «Le mot fierté n’est pas le bon. La fierté étalée est toujours mauvaise conseillère. Je suis satisfait d’avoir réussi quelque chose qui m’avait occupé l’esprit pendant longtemps.» Comme la Patrouille des Glaciers, d’ailleurs. «En 1949, mon père – qui avait participé aux deux premières éditions de 1943 et de 1944 – avait fait l’impasse sur la course. Il était tout de même allé voir passer les patrouilles à la Barmaz.» Le garçon, alors âgé de 11 ans, voit revenir son père inquiet comme jamais et annoncer à sa mère que les favoris n'y sont jamais arrivés. Trois semaines plus tard, les trois participants sont retrouvés sans vie.

Surpris par son état d’inquiétude, Camille Bournissen bombarde son père de questions sur la Patrouille des Glaciers. «Il m’a raconté qu’il s’agissait d’une épreuve exceptionnelle par sa longueur et sa difficulté. Ce récit m’a frappé et il est resté dans ma mémoire définitivement, d’autant que quatre mois plus tard, mon père mourrait lui-même d’un accident de montagne.» 

Pionner du renouveau de la PdG

Quant à La Patrouille des Glaciers, elle est jetée aux oubliettes en 1950 par le département militaire qui l’organise et qui la juge trop dangereuse après l’incident de l’année précédente. Mais le récit paternel ne quitte pas la mémoire de Camille Bournissen. Si bien que dans les années 70, il relance le projet avec le Colonel René Martin. Après plusieurs tentatives avortées, la PdG revoit le jour en 1984. Si les trois premières éditions étaient réservées uniquement aux militaires, l’épreuve s’ouvre désormais aux civils. 

«En arrivant à Verbier, les participants se sont découverts quelqu’un qu’ils n’étaient pas en partant de Zermatt.» Camille Bournissen

Le succès populaire est immédiat et grandissant. De 190 patrouilles en 1984, la PdG en accueille cette année 1517 – dont deux-tiers composées de civils. Des chiffres qui ne veulent pas dire grand-chose pour celui qui a quitté l’organisation de la compétition en 2000. «Il ne faut pas s’égarer dans l’analyse de ce qu’est la Patrouille des Glaciers. C’est ce que vivent les coureurs, ce qu’ils partagent à l’intérieur de l’équipe, la solidarité dont ils font preuve pour rallier Verbier qui fait la valeur de la course. A n’en pas douter, en arrivant à Verbier, les participants se sont découverts quelqu’un qu’ils n’étaient pas en partant de Zermatt.»

Cette semaine, Camille Bournissen prévoit d’aller encourager les patrouilles à Arolla. Là où il est né et où la montagne a fait de lui celui qu’il est. Là où passe la Patrouille des Glaciers, une compétition qu’il a façonné autant qu’elle l’a façonné.

La PdG, par Camille Bournissen
L’histoire de la Patrouille des Glaciers est intimement liée à Camille Bournissen. S’il a quitté l’organisation de l’épreuve en 2000, il avait participé à sa renaissance en 1984, après 35 ans d’interruption. 
 
JG
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