À Graben, Bernard Vergères a presque tout vu et tout vécu. La première fois qu’il a mis les pieds dans cette patinoire, c’était il y a plus de 50 ans. «51 exactement. J’avais 15 ans et c’était un Sierre-Chaux-de-Fonds en Ligue A. Il n’y avait même pas de toit. Depuis ce jour-là, le HC Sierre, c’est ma deuxième famille!» La discussion commence. Le ton est donné.
Durant un demi-siècle, le Chamosard a suivi «son» club aux quatre coins du pays. De l’élite aux tréfonds des divisions inférieures, il est toujours resté fidèle. Parfois en tribunes, le plus souvent dans le virage est. «Je me rappelle de certains gros matches lors desquels il n’y avait plus une place dans le gradin. On était sous un tifo et je me demandais si j’allais pouvoir respirer», sourit-il.
«Mon contrat s’est fait de manière orale, avec une poignée de mains.»Bernard Vergères
De supporter, Bernard Vergères est passé à partie intégrante du club. C’était en 2019, juste après la promotion des «Rouge et Jaune» en Swiss League. «Christophe Fellay (ndlr: le directeur sportif) cherchait quelqu’un de manuel, disponible la journée, pour assumer le rôle de chef matériel. On s’est rencontré et le contrat s’est fait de manière orale. D’ailleurs, le jour où j’ai commencé, je me suis rendu dans les bureaux du club. Le président Alain Bonnet s’est étonné de me voir alors qu’il était justement en train de signer les contrats pour la nouvelle saison. Quand je lui ai dit qu’on s’était mis d’accord avec une poignée de mains, il m’a dit que ça valait tout l’or du monde!»
Menuisier de formation, il souhaitait alors trouver une occupation pour éviter de s’ennuyer durant sa retraite. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est servi. «Le matin on est le lundi et l’après-midi on est déjà le vendredi», image-t-il. Ses journées sont effectivement bien remplies. Son cahier des charges tout autant. «Avant chaque séance, je m’occupe de l’aiguisage des patins et je prépare les boissons. Avec le covid, chaque joueur doit avoir sa propre gourde. Ensuite, j’assiste à l’entraînement au cas où il faut changer une canne ou une lame. Et puis, il y a encore toutes les lessives qu’il faut faire. Autant de tâches qui me font avancer et me motivent à me lever chaque matin.»
«J’ai dû attendre mes 63 ans pour faire tourner ma première machine à laver!»Bernard Vergères
À 66 ans, Bernard Vergères est donc épanoui dans ses fonctions. Mais il reconnaît aussi avoir eu besoin de temps pour véritablement prendre ses marques. «Vous voulez un exemple? J’ai dû attendre mes 63 ans pour faire tourner ma première machine à laver! Et c’était direct pour nettoyer les équipements de trente joueurs. Je vous assure qu’il y avait de l’appréhension car il ne fallait surtout pas les rétrécir. Je reconnais qu’au début, c’était un peu le foutoir. Mais heureusement, maintenant, avec le temps, ça passe.»
À Graben, le rôle de celui que tout le monde surnomme «Bernie» ne se résume pas seulement aux tâches manuelles. Membre à part entière du vestiaire, il fait parfois office de confident pour les joueurs. «Je dirais surtout que je suis le papa des plus jeunes», souffle-t-il. «Parfois, ils me demandent pourquoi ils ne jouent pas. J’essaie donc de les encourager, de leur dire qu’il faut donner un peu plus à l’entraînement, ne surtout pas se relâcher. Et puis, j’essaie de leur faire prendre conscience que l’entraîneur est toujours le patron. Qu’il faut respecter ses choix quels qu’ils soient.» En trois saisons, il a eu le temps de construire une belle relation avec l’ensemble du groupe. «Même s’il y a forcément plus d’affinités avec l’un ou l’autre, je peux dire que je m’entends bien avec tout le monde.»
Que ce soit tôt le matin avant l’entraînement ou tard le soir après les matches – voire au milieu de la nuit au retour d’une rencontre à l’extérieur – impossible de passer à la patinoire sans croiser, au détour d’un couloir, à proximité du banc ou des vestiaires la silhouette de Bernard Vergères. «Je ne vous dirais pas que Graben est ma première maison car mon épouse ne serait pas contente», rigole-t-il. «Mais c’est clairement mon deuxième chez moi, c’est vrai.»
«Si Dieu me prête garde, j’espère voir une nouvelle patinoire de mon vivant.»Bernard Vergères
S’il y est très attaché, il est aussi bien conscient que le poids des années pèse de plus en plus sur cette enceinte. «Tous les incidents de cette saison m’ont fait mal au cœur. On voit bien que cette patinoire devient désuète. Quand je me suis engagé, on m’a dit que les trois premières saisons se feraient ici et que la quatrième aurait lieu dans la nouvelle enceinte. Au final, chaque année Christophe Fellay me dit «bon Bernie, c’est pas encore pour maintenant donc tu restes». Quand je vois les autres patinoires, leurs vestiaires, la place à disposition, je me mets à rêver. Si Dieu me prête garde, j’espère voir la même chose ici de mon vivant!»