Coupe du Monde: la «Gran Becca» se dévoile au pied du Cervin

Christophe Moreillon
Journaliste sportif RP

Un départ en Suisse. À 3'800 mètres. Une arrivée en Italie. À 2'865 mètres. Quatre kilomètres de course et une vitesse pouvant atteindre les 135 km/h. Les contours de la première épreuve transfrontalière au calendrier de la Coupe du Monde de ski ont été dévoilés. Premier rendez-vous en 2023.

La brume s’était invitée à 3'883 mètres ce vendredi. Le Cervin se faisait discret. À peine pouvait-on en distinguer les courbes. C’est pourtant là, au Petit Cervin, que les organisateurs de la première étape transfrontalière de l’histoire de la Coupe du Monde de ski avait donné rendez-vous aux représentants de la presse. Au menu: la présentation officielle de cette future épreuve, baptisée «Gran Becca» en référence au nom donné au Cervin dans le Val d’Aoste, qui entrera officiellement au calendrier de l’élite mondiale d’ici deux ans.

Un projet né il y a deux ans presque jour pour jour

«Certains auraient préféré reporter et vous faire venir un jour où il fait beau. Mais j’ai refusé. La météo, c’est une partie prenante des courses de ski», devait affirmer Franz Julen dans une cabine en direction du sommet. Président des remontées mécaniques de Zermatt, ce dernier est aussi le président du comité d’organisation de ces futures courses au pied du Cervin. C’est peu dire que, malgré le temps maussade, il ne boudait pas son plaisir d’enfin dévoiler les contours du projet. «C’est un moment fort en émotions. Il y a presque deux ans jour pour jour, le 30 novembre 2019, nos partenaires de Cervinia (ndlr: la station italienne), nous ont lancé cette idée. Depuis, on a énormément travaillé pour en arriver là aujourd’hui. Je suis vraiment ému car Zermatt a organisé de grands événements de ski jusqu’en 1967 avant de rater le train de la Coupe du Monde. Y remédier, avec Cervinia, c’est fantastique. Aujourd’hui est un jour essentiel pour nous tous.»

«En trois secondes, j’étais convaincu que cette idée était la bonne.»Franz Julen, président du comité d'organisation

S’il insiste sur le fait que l’idée ne venait pas de lui mais bien de la partie transalpine, Franz Julen reconnaît ne pas avoir eu besoin de beaucoup de temps pour être séduit. «Cela m’a pris trois secondes. J’ai tout de suite compris que c’était l’idée qu’il nous fallait. Personne d’autre ne peut organiser des courses entre la fin octobre et début novembre. On ne prend la place de personne. La Coupe du Monde a besoin d’innovation et on l’amène avec ces courses transfrontalières. C’est une première dans l’histoire! Dès le début, on a mis toute notre passion, toute notre détermination, pour mener à bien ce projet.»

L’atout du calendrier

En à peine deux ans, ce projet est donc passé d’une simple idée lancée à la fin d’une soirée que Franz Julen qualifie lui-même «d’arrosée» à quelque chose de concret, qui verra officiellement le jour d’ici à l’automne 2023. «Je sais que certaines stations attendent longtemps avant d’obtenir une place dans le calendrier de la Coupe du Monde», poursuit le Haut-Valaisan. «Mais notre atout, comme je l’ai dit, c’est que si l’on ne fait pas ces courses, personne le fera. On est les seuls à pouvoir remplir le trou entre le début de la saison à Sölden et les premières épreuves de vitesse à Lake Louise. On a vraiment cette chance d’avoir un créneau unique, de ne pas avoir de concurrence à cette période-là de l’année.»

«Une épreuve transfrontalière comporte sa part de défis. Mais c’est aussi ce qui rend la chose sexy.»Franz Julen, président du comité d'organisation

Une particularité qui a valu à Zermatt/Cervinia d’immédiatement recevoir le soutien de la fédération internationale de ski (FIS). Et quid des difficultés d’organisation d’une épreuve transfrontalière? «Cela comporte sa part de défis, c’est clair», répond Franz Julen. «Mais c’est exactement ce qui rend la chose «sexy». Deux pays, deux cultures, c’est un challenge très motivant pour nous tous. Jamais l’une des deux parties n’a tenté de tirer la couverture à elle. Chacun se traite avec respect. On collabore déjà ensemble depuis 20 ans en proposant un abonnement de ski commun. On se connaît parfaitement et on avance main dans la main.»

Didier Défago dans le rôle de l’architecte

Pour donner vie à cet ambitieux projet, encore fallait-il dessiner le tracé de ces futures épreuves. À ce jeu-là, c’est l’ancien champion olympique de descente Didier Défago qui a été mobilisé. «Cela n’a pas été quelque chose de facile à réaliser», concède le Morginois. «En principe, lorsque l’on dessine une piste, on va sur un terrain sans neige, en été. On peut y a aller à sa guise, à gauche, à droite. Là, on se trouve sur un glacier, avec des crevasses. On ne peut pas quitter le domaine skiable. Je me suis donc entouré d’une personne qui connaît très bien le lieu afin d’être guidé et de savoir où je pouvais aller voir les choses. C’était important afin d’être sûr que le tracé dessiné ne passe pas par des zones protégées ou dangereuses.»

«À l’heure actuelle, beaucoup de passages sont encore en 3D dans ma tête.»Didier Défago, architecte de la piste

Après des mois de travail, de réflexion, de partage d’idées aussi, l’ancien vainqueur de Wengen et Kitzbühel en est donc arrivé à ce parcours de quatre kilomètres et près de 1'000 mètres de dénivelé. Départ de Gobba di Rollin, en Suisse, à 3'800 mètres. Arrivée à Laghi Cime Bianche, en Italie, à 2'865 mètres. «À l’heure actuelle, beaucoup de passages sont encore en 3D dans ma tête. À chaque fois que je regarde le dessin, j’y apporte des modifications», sourit-il. Avant de détailler le parcours: «Il y a un premier passage clé après 30 secondes de course avec un long saut qui va donner passablement de vitesse. S’en suivra un virage à gauche, une entrée dans une petite traverse qui conduit dans une partie de glisse qui emmènera les skieurs à la frontière. On rentre alors dans une portion plus technique, façon Super-G, avant d’arriver à un autre endroit clé où je veux qu’il y ait de la vitesse. On devrait être à 135 km/h. Arrive ensuite un passage avec beaucoup de mouvements de terrain avant d’arriver sur la partie finale avec deux gros sauts. Il faudra avoir les jambes pour arriver au bout…» Temps de course estimé: entre 2 minutes 15 et 2 minutes 20. «Tout dépendra des conditions météo».

Un joli coup marketing pour la région

Autre personnalité importante engagée dans ce projet: Pirmin Zurbriggen. L’ex-champion a été nommé ambassadeur de ces futures épreuves. «C’est un honneur pour moi», affirme-t-il. «Je n’ai absolument pas hésité à accepter. Présenter ce projet au monde entier, en cassant les frontières, vivre ça avec l’Italie, c’est quelque chose de formidable.» Natif du lieu, celui qui est à la tête de plusieurs hôtels au sein de la région est bien conscient que derrière ces épreuves se cache, aussi, un joli coup marketing. «En novembre, on connaît souvent un creux. Avoir un tel événement contribuerait inévitablement à le combler et à apporter des recettes importantes à toute la région.»

«Lorsqu’on innove autant qu’on le fait avec ce projet, les critiques font partie du jeu.»Franz Julen, président du comité d'organisation

Bien ficelées, ces épreuves de Coupe du Monde au pied du Cervin ont tout pour séduire. Même si d’inévitables critiques existent toujours. «Lorsqu’on innove autant qu’on le fait avec ce projet, les critiques font partie du jeu», affirme Franz Julen. «Nous les prenons toutes au sérieux mais elles nous motivent surtout à tout donner pour proposer quelque chose de grande qualité. Je ne vois pas de problèmes concernant la préparation de la piste puisque toutes les équipes s’entraînent sur le glacier. On a suffisamment d’expérience à ce niveau-là. Concernant la longueur du tracé en rapport avec l’altitude, tous les experts rencontrés nous ont assuré qu’il n’y avait pas de problèmes. Et, enfin, je crois qu’aucune autre course n’est aussi durable que la nôtre. Les deux tiers du tracé se font sur de la neige naturelle, on ne coupera aucun arbre et toute l’infrastructure nécessaire à un tel événement existe déjà. On a tout pour devenir un exemple!»

Un seul regret pour Défago

De son côté, Didier Défago ne voit qu’un seul «point noir» à ces courses. «Le fait que je ne puisse pas être dans le portillon de départ», rigole-t-il. «Mais l’émotion sera bien là lorsque le premier coureur s’élancera. Je prendrai alors conscience de tout le chemin parcouru. Je me réjouis vraiment d’y être.»

Premier rendez-vous sur cette «Gran Becca» l’an prochain pour des épreuves de Coupe d’Europe. La Coupe du Monde fera sa grande première l’année suivante, entre la fin octobre et le début novembre 2023.

CM
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