A Sion, une expo interroge la frontière entre culture et nature
Ce qui n’est plus sauvage est-il encore naturel ? En présentant des espèces intentionnellement modifiées par l'humain, l'exposition "Artificiel" du Musée valaisan de la nature interroge la frontière entre nature et culture. Jusqu'au 14 mai au Pénitencier de Sion.
Dans chacune des cellules de l'ancien pénitencier s'étale l'histoire révélatrice d'une modification du vivant. Comment et pourquoi l'humain a domestiqué le loup il y a au moins 15'000 ans, a appris à chanter aux canaris des mélodies agréables dès le XVe siècle, a créé par sélection les vaches d'Hérens notamment au XIXe ou des lignées de poulets de chair au XXe?
"Les raisons ne sont pas toujours celles que l'on suppose", révèle Nicolas Kramar, directeur du Musée de la nature du Valais. La domestication du coq il y a 8000 ans visait, selon les recherches effectuées, à utiliser ses plumes pour des parures ou organiser des combats, celle de l'auroch, ancêtre du boeuf, il y a près de 11'000 ans était synonyme de prestige.
Plus proche de nous, l'élevage sélectif du mouton à quatre cornes avait pour but d'orner les parcs des riches propriétaires terriens du XIXe siècle.
L'être humain est imbriqué dans la nature et influe sur elle depuis toujours pour des raisons, économiques, esthétiques, ludiques, scientifiques ou encore militaires, qui évoluent avec les sociétés, précise Nicolas Kramar. Si bien qu'"aujourd'hui, on ne peut plus considérer que l'histoire naturelle est indépendante de l'histoire tout court", explique-t-il.
Au fil de l'exposition, le public est accompagné par des explications écrites et audio. Il découvre aussi des espèces végétales et animales prêtées par diverses institutions suisses et internationales dont l'Agroscope, qui illustrent le propos.
Une lettre du naturaliste Charles Darwin, datant de 1868, prêt de la bibliothèque universitaire de Bâle, traite par ailleurs de la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication.
Une véritable pépite, estime Nicolas Kramar. L'exposition "Artificiel" tire son nom de l'expression "sélection artificielle", inventée par Darwin, et que le naturaliste utilise après avoir forgé le principe de sélection naturelle, l'un des piliers de la théorie de l'évolution, poursuit-il.
"Artificiel" est le fruit d'une collaboration avec le Centre d'histoire post-naturelle de Pittsburgh aux Etats-Unis qui s'attache à mettre en lumière les espèces intentionnellement modifiées par l'homme. Un angle mort rarement montré dans les musées d'histoire naturelle.
L'exposition invite visiteurs et visiteuses à s'extraire d'une vision dichotomique, à rester critique et à s'interroger sur ce qui est habituellement classé dans chacune de ces deux catégories. Car les frontières entre naturel et artificiel sont beaucoup plus poreuses qu'on ne le pense, souligne Nicolas Kramar.