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Père de l'école de foot du FC Sion, Jacques Guhl fête ses 100 ans

Jacques Guhl. Un nom qui évoque beaucoup à tous ceux qui l’ont côtoyé. Ancien joueur et entraîneur du FC Sion, c’est lui qui a créé l’école de football du club valaisan au milieu des années 50. Nous l’avons rencontré à quelques jours de ses 100 ans.

Christophe Moreillon
Christophe Moreillon, Rédaction Rhône FM
18 oct. 2022, 12:09
Jacques Guhl
Jacques Guhl ©Rhône FM

Lorsqu’on sonne à la porte du troisième étage de cette bâtisse ancienne, au cœur de la Vieille Ville de Sion, c’est Agnès qui vient nous ouvrir. «Entrez seulement et venez vous asseoir, on va laisser mon père se reposer encore un petit quart d’heure.» C’est donc elle, la fille aînée de Jacques Guhl qui commence par nous parler de son amour et de sa fierté pour tout ce qu’a accompli son paternel en un siècle d’existence. «Tout ce qu’il a fait, il l’a appris sur le tas. C’est un vrai autodidacte.»

De la distraction pour oublier les douleurs

Il est 10h15. Peut-être un poil plus. Dans l’appartement, le temps semble comme arrêté. Vêtu d’un peignoir qu’il vient d’enfiler, il sort de la pénombre. Le pas un peu hésitant, recroquevillé sur la canne qui l’accompagne. «Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit», soupire Jacques Guhl juste après nous avoir salué. «J’ai des douleurs dans les pieds. Il me faut de la distraction pour que mon esprit pense à autre chose.» Ça tombe bien: on est là pour ça. C’est en tout cas ce qu’on lui promet.

«Faut croire que plus on a d’intérêt à la vie, plus on la prolonge.» Jacques Guhl

Assis en bout de table, il boit une gorgée d’eau avant de nous interroger. «Alors, tu veux qu’on parle de quoi?» Et si on commençait par une question aussi simple que vague: atteindre les 100 ans, ça fait quoi? «Ouf…C’est une surprise d’abord d’avoir eu le pouvoir d’arriver jusque-là», rigole-t-il. «Faut croire que plus on a d’intérêt à la vie, plus on la prolonge. Enfin je n’en sais rien, faudrait demander aux philosophes. Disons que c’est venu comme ça. Je me suis toujours intéressé à l’existence. J’ai regardé la télévision pour vieillir un peu mieux et puis le football a toujours été là, en fil rouge.»

Débarqué d’Afrique du Nord

Toujours depuis qu’il a tapé dans ses premiers ballons. C’était il y a près d’un siècle à Lausanne. Là où il était arrivé avec ses parents en provenance d’Algérie, son pays natal. «Quand j’ai débarqué ici, personne ne me croyait quand je leur expliquais que j’étais originaire d’Afrique du Nord. À l’époque, on me répétait que ce n’était pas possible car je n’étais pas quelqu’un de couleur. Vous voyez les préjugés qui existaient…» Mais revenons-en au football et à ces premières parties improvisées. «C’était un chemin de terre devant chez moi. Il y avait une loupiote qui éclairait vaguement le soir et on jouait là avec les gosses du quartier. On n’était pas riches mais on se débrouillait avec un ballon qu’on récupérait quelque part.»

«C’est dans son quartier que naît le football chez l’enfant. C’est comme ça qu’il apprend à manier le ballon. Pas avec un type derrière lui qui lui dit qu’il faut jouer comme ci ou comme ça.» Jacques Guhl

Jacques Guhl le dit lui-même, l’attaquant qu’il est devenu par la suite est un joueur issu de la rue. «C’est dans son quartier que naît le football chez l’enfant. C’est une notion qui est capitale à comprendre», relève-t-il. «Si un gosse a la chance d’avoir devant chez lui un bout de terrain, de pré, il faut le laisser jouer là. C’est comme ça qu’il apprend à manier le ballon. Pas avec un type derrière lui qui lui dit qu’il faut jouer comme ci ou comme ça.»

Plusieurs vies en une seule

Tout au long de son existence, il est resté attaché à cette notion. Il a toujours veillé à laisser une grande place à l’improvisation et ça, dans chacune des nombreuses vies qu’il semble avoir vécu. Car oui, en 100 ans, Jacques Guhl n’a pas eu le temps de s’ennuyer. Il a été à la fois acteur, auteur, écrivain, poète ou encore scénariste. Tout ça à côté d’une carrière de footballeur qui l’a vu disputer ses premiers matches de Ligue Nationale A à 17 ans sous les couleurs de Lausanne. Passé ensuite par Malley en tant qu’entraîneur-joueur, il y a manqué pour un petit point le pari qu’il s’était fixé: permettre à la capitale vaudoise de compter deux clubs dans la même division. «Zurich y est parvenu, pourquoi cela n’aurait pas été possible à Lausanne?»

«Quand je suis arrivé à Sion, l’herbe dépassait par-dessus les bordures du terrain. Le ballon faisait des zigzags à chaque fois qu’on faisait une passe. C’était épouvantable!» Jacques Guhl

À 33 ans, il quitte le canton de Vaud pour rejoindre le Valais. Notamment par amour pour Simone qu’il épousera trois ans plus tard. Il rejoint le FC Sion, là aussi en tant qu’entraîneur-joueur, où tout est à construire. Jamais exigeant envers ses joueurs, il ne l’était pas plus avec ses dirigeants. Se contentant volontiers d’un salaire mensuel de 500 francs, il n’avait qu’une exigence au moment de son engagement. «J’ai demandé à ce qu’ils préparent le terrain de manière impeccable. Pour bien jouer au foot, il faut avoir les moyens à disposition.» Pourtant, lorsqu’il débarque au Parc des Sports, c’est la stupeur. «La personne qui s’occupait du terrain était le propriétaire de ce qui est devenu la Ferme Asile aujourd’hui. Il refusait donc de tondre régulièrement la pelouse et préférait la laisser pousser avant de la faucher pour l’apporter au bétail. Quand je suis arrivé, l’herbe dépassait par-dessus les bordures du terrain. Le ballon faisait des zigzags à chaque fois qu’on faisait une passe. Jouer au foot, s’entraîner dans ces conditions, c’était épouvantable!»

Une école de foot qui a vite porté ses fruits

Jacques Guhl se souvient aussi qu’à ses débuts en Valais, la qualité de l’effectif à sa disposition était toute relative. «Sur les douze joueurs du contingent, seulement six étaient des footballeurs», affirme-t-il. «J’ai tout de suite su qu’il me fallait quelqu’un là où là.» Des transferts ont donc été faits. De nouveaux joueurs sont arrivés et deux ans après, le FC Sion accédait pour la première fois de son histoire à la Ligue Nationale. En parallèle, il a donc été un précurseur. C’est lui qui a fondé l’école de foot sédunoise. «C’était essentiel. Je me suis toujours battu pour avoir un club qui soit régional. Quand le contingent s’est étoffé et qu’il comptait 28 à 30 joueurs, 20 venaient de Sion. Dès le départ, le mouvement juniors qu’on a mis en place s’est avéré très valable. Il a permis de sortir des Barberis, Geiger, In-Albon ou Trinchero. Des gamins du cru qui jouaient avec la première équipe et défendaient le blason de leur club. Malheureusement, le passage au professionnalisme a changé la donne. Regardez la première équipe actuelle et comptez le nombre de Valaisans qui la composent…»

«Vous voyez ces types qui se roulent toujours par terre et frappent le sol. Heureusement que ça ne fait pas trop de bruits sinon ce seraient des matches de tambourin.» Jacques Guhl

Du haut de ses (bientôt) 100 ans, il ne mâche pas ses mots au moment d’évoquer l’évolution de son sport. Il regrette les blessures, toujours plus nombreuses. «Quand on regarde la liste des équipes avant un match, on a l’impression qu’elles trimballent une bande d’éclopés. Mais ça ne m’étonne pas. Aujourd’hui, on apprend qu’il faut taper dans le ballon même si la jambe de l’adversaire se trouve devant nous. À l’époque, il y avait plus de classe dans le jeu.» Surtout, il a une hantise: les simulations. «Vous voyez ces types qui se roulent toujours par terre et frappent le sol. Heureusement que ça ne fait pas trop de bruits sinon ce seraient des matches de tambourin. Ils apprennent sûrement à l’entraînement comment taper pour que ça se voit. C’est invraisemblable.»

Promesse (à priori) tenue

Tellement de choses le dépassent selon ses propres dires dans le football de 2022 qu’il est rare que Jacques Guhl regarde un match jusqu’à son terme. «Par soucis d’être au courant de ce qu’il se passe et d’être capable d’échanger avec le péquin que je rencontre dans la rue, je m’intéresse quand même aux résultats du FC Sion. Que voulez-vous, faut bien avoir une opinion sur la chose.» Il n’en dira pas plus sur le sujet, préférant enchaîner sur un autre thème. Il nous parle de littérature, de toutes les rencontres qui ont marqué sa vie, du baron Pierre de Coubertin qui l’appelait «Jacky». Sa fille Agnès est toujours là. Juste à côté. Elle le regarde avec tendresse. Il est bientôt midi et le temps nous rattrape. Plus d’une heure durant, Jacques Guhl n’a pas pensé à ses douleurs. La promesse faite plus tôt semble tenue. Il s’est diverti autant qu’il nous a divertis. On s’excuse de devoir partir et on le laisse sur une dernière question. À 100 ans, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter? Il se marre. «Ouh, ben vous savez, l’avenir c’est mon avenir. À 100 ans, moi je ne souhaite plus grand-chose…» On se contente donc d’un «Joyeux Anniversaire en avance» avant de le laisser finir la tartine préparée une heure et demie plus tôt par sa fille.

CM
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