Antoine Flahault : « Une stratégie d’élimination du virus aurait été inapplicable en Suisse »
Le professeur de l’Université de Genève, spécialiste de la prédiction de l’évolution de la pandémie, était l’un des invités de la 6e journée de l’Observatoire valaisan de la santé. Au programme : une série de conférences sur le thème des inégalités dans le domaine de la santé.

« Le système de santé a peu d’impact sur la mortalité due au Covid-19 ». C’est ce qu’a expliqué hier Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale (ISG) à l’Université de Genève. Il était l’un des intervenants de la 6e journée de l’Observatoire valaisan de la santé (OVS) qui s’est déroulée jeudi à la Clinique romande de réadaptation à Sion. Le professeur Flahault a montré que le nombre de décès pour 100'000 habitants en Suisse était similaire à celui d’autres pays qui possèdent pourtant un système de santé très différent.
L’influence des choix politiques
En revanche, ce sont les décisions politiques qui ont le plus d’influence. Le directeur de l’ISG distingue trois stratégies différentes selon les pays : vivre avec le virus, le supprimer au maximum ou l’éliminer totalement. La Confédération a choisi la première, une stratégie moins efficace que celle d’autres pays, qui ont plutôt cherché à éliminer le virus en prenant des mesures plus radicales. Cela signifie-t-il que la Suisse s’est trompée ?
« Nous avons une démocratie très participative. Une stratégie qui aurait visé par exemple à fermer les frontières, qui est possible dans des pays comme l’Islande, la Nouvelle-Zélande ou un pays très autoritaire comme la Chine, était particulièrement compliquée dans un pays très interconnecté comme la Suisse. Certaines parties des stratégies d’élimination ou de suppression me semblent inapplicables en Suisse. Dans le cadre de Schengen, la Confédération aurait peut-être pu négocier un meilleur contrôle de ses frontières sur le plan sanitaire, mais ça aurait été compliqué. On n’instaure pas des mesures dans une démocratie sans un minimum d’adhésion de la population », répond Antoine Flahault.
En ce qui concerne la gestion actuelle de la pandémie, ce dernier explique que les pays adoptent peu à peu des stratégies hybrides qui reprennent différents éléments des trois stratégies mentionnées.
Des inégalités dans l’accès aux soins
La 6e journée de l’OVS n’était pas uniquement dédiée au Covid. Deux autres présentations et une table ronde étaient consacrées à la renonciation aux soins et aux inégalités dans l’accès au système de santé. Et à ce niveau-là, le Valais et la Suisse ne sont pas très bien placés en comparaison internationale.
« Nous avons montré il y a quelques années, notamment chez les séniors, que la renonciation aux soins pour des raisons financières était quelque chose de relativement fréquent en Valais et en Suisse. Nous avons constaté qu’environ 9% des séniors avaient renoncé à se rendre à une consultation chez un médecin durant l’année précédant l’enquête. C’est un résultat intrigant, parce que dans beaucoup de pays d’Europe, les chiffres sont plus bas », précise Arnaud Chiolero, médecin-chef épidémiologue à l’OVS.
Le professeur Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille à l’Université de Fribourg, a donné une conférence sur cette problématique de la renonciation aux soins. Selon lui, des solutions existent pour améliorer la situation. « C’est d’abord de garantir l’accès aux soins à tout le monde, c’est-à-dire des soutiens financiers, qu’on a par exemple avec les aides sociales, mais certaines personnes n’ont juste pas le revenu pour obtenir l’aide sociale. Il y a aussi des aspects pratiques à améliorer comme la proximité d’un médecin traitant ou la compréhension entre le médecin et un patient malentendant ou qui ne parle pas la langue », détaille Pierre-Yves Rodondi.
La journée de l’OVS a lieu une fois par année depuis 2015. Elle avait été annulée l’an dernier en raison des mesures de restriction anti-Covid.