Manif pour plus de démocratie en Thaïlande
Milliers de manifestants prodémocratie attendus dans Bangkok
Des dizaines de milliers de jeunes sont attendus samedi et dimanche à Bangkok pour demander plus de démocratie ainsi que la démission du Premier ministre, certains osant exiger une réforme de la monarchie, sujet tabou en Thaïlande.
Les organisateurs espèrent rassembler au moins 50'000 personnes, pour ce qui serait la plus grande manifestation depuis le coup d'État de 2014 qui a porté au pouvoir l'actuel chef du gouvernement Prayut Chan-O-Cha, légitimé depuis par des élections controversées.
Dès la fin de la matinée, des centaines de manifestants ont pénétré de force sur le campus de la faculté de Thammasat dans le centre de Bangkok, trois doigts levés en signe de défi. L'université en avait refusé l'accès mais les opposants ont forcé les portes, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Le lieu est symbolique: le 6 octobre 1976, des dizaines d'étudiants, qui protestaient contre le retour d'un régime militaire après une parenthèse de trois années de démocratie, y avaient été tués par les forces de l'ordre épaulées par deux milices ultra-royalistes.
"A bas la dictature, vive la démocratie", "Prayut dehors", ont scandé des manifestants.
Dimanche, les manifestants doivent marcher vers la Maison du gouvernement pour présenter leurs doléances.
Le mouvement, qui défile dans les rues quasi quotidiennement depuis l'été, regroupe surtout des jeunes, étudiants et urbains. Prenant pour modèle la contestation hongkongaise, ils n'ont pas de réels dirigeants et s'appuient sur les réseaux sociaux pour relayer leurs appels.
"Arriveront-ils à rallier les classes populaires? Cette manifestation est un test", estime Christine Cabasset, chercheuse pour l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine.
Au coeur de leurs revendications, la fin du "harcèlement" des opposants politiques, la dissolution du Parlement avec la démission de Prayut Chan-O-Cha et la révision de la Constitution de 2017, rédigée du temps de la junte et jugée trop favorable à l'armée.
Une partie du mouvement va plus loin, osant se confronter à la royauté.
Du jamais-vu dans le pays où, en dépit des renversements successifs de régimes (12 coups d'État depuis 1932), la monarchie restait jusqu'ici intouchable, protégée par une des plus sévères lois de lèse-majesté au monde.
"Nous luttons pour plus de démocratie", résume à l'AFP Panusaya Sithijirawattanakul, dit Rung, une des organisatrices du mouvement. "Notre objectif n'est pas de détruire la monarchie, mais de la moderniser, de l'adapter à notre société".
Leurs demandes n'en demeurent pas moins audacieuses: ils réclament la non-ingérence du roi dans les affaires politiques, l'abrogation de la loi sur le lèse-majesté et le retour des biens de la Couronne dans le giron de l'Etat.
Le souverain thaïlandais, bien au-delà de son statut de monarque constitutionnel, dispose d'une influence considérable qu'il exerce le plus souvent dans l'ombre.
L'actuel monarque, Maha Vajiralongkorn, monté sur le trône en 2016 au décès de son père le vénéré roi Bhumibol, est une personnalité controversée.
En quelques années, il a renforcé les pouvoirs d'une monarchie déjà toute puissante en prenant notamment directement le contrôle de la fortune royale. Ses fréquents séjours en Europe, même en pleine pandémie de coronavirus, ont aussi soulevé des interrogations.
Quelque 10'000 policiers ont été déployés. Le Premier ministre a mis en garde contre ces rassemblements, brandissant la menace d'une nouvelle vague de coronavirus en Thaïlande, relativement épargnée jusqu'à présent (moins de 3500 cas et 58 décès).
Cela pourrait "détruire la confiance des investisseurs" et nuire au pays, déjà frappé de plein fouet par la crise économique liée à la pandémie, a-t-il lancé.
Les manifestations, dans un royaume habitué aux contestations matées dans le sang (en 1973, 1976, 1992 et 2010), se sont pour l'instant déroulées dans le calme.
"Nous sommes pacifiques, mais il pourrait y avoir des tensions", souligne Rung. Depuis le début de la contestation, plus de 20 activistes, dont la jeune femme, ont été inculpés pour "sédition", un crime passible de sept ans de prison.