Le Tigré menace l'Erythrée
Ethiopie: tirs de roquette sur la région amhara, voisine du Tigré
Les forces de la région dissidente du Tigré, qui y affrontent l'armée éthiopienne, ont tiré dans la nuit des "missiles" sur deux aéroports de celle voisine de l'Amhara. Elles ont également menacé de s'en prendre à l'Erythrée frontalière.
Le gouvernement éthiopien avait annoncé dans la matinée que des roquettes avaient causé des "dégâts" aux abords des aéroports de Bahir Dar, capitale régionale de l'Amhara, située à environ 200 km de la frontière avec le Tigré, et de la ville de Gondar, 100 km plus au nord.
Des témoins interrogés par l'AFP ont fait état de plusieurs explosions et de brefs tirs vendredi en fin de soirée. Un médecin de Gondar a indiqué que deux militaires avaient été tués et 15 blessées. Aucun bilan n'était disponible à Bahir Dar.
Vendredi soir "nous avons infligé de lourds dégâts aux zones militaires des aéroports de Gondar et Bahir Dar" avec des "tirs de missile", a déclaré Getachew Reda, porte-parole du Commandement central du Tigré à la télévision locale Demtsi Woyane TV.
Sans endosser la responsabilité des attaques, le président du Tigré, Debretsion Gebremichael, avait auparavant rappelé à l'AFP que son parti, le Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF) qui dirige la région, considérait que "tout aéroport utilisé pour attaquer le Tigré serait une cible légitime".
"Que les attaques partent d'Asmara (capitale de l'Erythrée, ndlr) ou de Bahir Dar (...) il y aura des représailles, nous tirerons des missiles sur des cibles choisies, en plus des aéroports", a également mis en garde le porte-parole du Commandement central du Tigré.
"Nous allons également tirer des missiles pour déjouer tout mouvement militaire à Asmara et Massaoua", port érythréen sur la mer Rouge, a-t-il aussi menacé, accusant l'armée érythréenne de mener depuis vendredi des offensives au Tigré, à la demande du gouvernement fédéral éthiopien.
Ce n'est pas la première fois que les dirigeants du Tigré accusent l'Erythrée - leur ennemie jurée - d'être impliquée dans le conflit. Mais le blackout imposé sur la région et les restrictions aux déplacements des journalistes rend impossible de vérifier les affirmations de l'un et l'autre camp.
Vendredi, le gouvernement éthiopien assurait que les forces du TPLF étaient "à l'agonie", tandis que celles-ci ont affirmé samedi avoir infligé de "lourdes pertes" à l'armée fédérale éthiopienne.
Ethiopie et Erythrée se sont affrontées dans une guerre meurtrière entre 1998 et 2000, à l'époque où le TPLF contrôlait l'appareil politique et sécuritaire à Addis Abeba. Les deux pays sont restés à couteaux tirés jusqu'à ce que Abiy Ahmed devienne Premier ministre en 2018 et fasse la paix avec Asmara, ce qui lui a valu le prix Nobel en 2019.
M. Abiy, un oromo, devenu Premier ministre à la faveur d'un fort mouvement de contestation populaire né dans les régions oromo et amhara, a progressivement écarté le TPLF du pouvoir qu'il détenait depuis presque 30 ans et les tensions entre eux n'ont cessé de croître. Jusqu'à l'intervention militaire lancée le 4 novembre, pour dit-il, y rétablir des "institutions légitimes".
De nombreux observateurs craignent que le conflit au Tigré n'entraîne l'Ethiopie, 2e pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 100 millions d'habitants et mosaïque de peuples, dans une guerre communautaire incontrôlable. Mais aussi qu'elle déstabilise la Corne de l'Afrique, l'Erythrée pouvant notamment être tentée de régler de vieux comptes avec le TPLF.
Avec ces tirs de "missiles" jusqu'en région amhara, le TPLF a montré sa capacité à porter le conflit hors de son fief. Ce, alors que le général Berhanu Jula, chef d'état-major de l'armée fédérale, assurait le 5 novembre que "la guerre ne gagnera pas le centre du pays" et "se terminera" au Tigré.
Même si le TPLF assure que "le conflit ne concerne pas les civils amhara", de vieux différents territoriaux opposent les Amharas (2e ethnie la plus nombreuse en Ethiopie après les Oromo) et les Tigréens (6% de la population du pays). Et les tensions sont récurrentes entre les deux communautés qui se sont violemment affrontées par le passé.
Des milliers de miliciens amhara ont déjà rejoint le Tigré pour prêter main-forte à l'armée fédérale éthiopienne contre le TPLF, selon les autorités régionales amhara.
Jeudi, Amnesty International a dénoncé un "massacre" de civils au Tigré, citant des témoins qui affirment que les victimes étaient amhara et ont été tuées par des forces du TPLF, ce que M. Debretsion a démenti.