La France défend ses valeurs face à Ankara
Colère d'Erdogan après une caricature, la France veut des sanctions
La Turquie a promis une "action diplomatique" mercredi après la publication d'une caricature du président Recep Tayyip Erdogan par l'hebdomadaire français Charlie Hebdo. La France cherche pour sa part des sanctions européennes face aux "tentatives de déstabilisation".
Dans un contexte où la France et la Turquie, deux pays membres de l'Otan, sont à couteaux tirés, le célèbre hebdomadaire satirique français a représenté M. Erdogan en slip, bière à la main, soulevant la robe d'une femme voilée en s'écriant: "Ouuuh ! Le prophète !".
Une "attaque ignoble" venant de "vauriens", a réagi le président Turc face à ce dessin peu flatteur, affirmant ne pas l'avoir vu. "Nous savons que la cible, ce n'est pas ma personne, mais nos valeurs", a poursuivi le président turc dont un porte-parole avait auparavant dénoncé un "racisme culturel".
Ankara a ouvert une enquête pour "insulte au chef de l'Etat" et promis une "action diplomatique" susceptible d'envenimer davantage les rapports, sans toutefois fournir de précision.
M. Erdogan a multiplié ces derniers jours les attaques contre son homologue français Emmanuel Macron, l'accusant d'"islamophobie" pour avoir défendu le droit de caricaturer le prophète Mahomet lors d'un hommage à un enseignant français décapité pour avoir montré des dessins en classe.
Réponse de Paris, par la voix du secrétaire d'État aux Affaires européennes, Clément Beaune: "Nous pousserons évidemment en faveur de mesures européennes de réaction forte dont l'outil possible des sanctions" au Conseil européen de décembre face à "une stratégie d'ensemble, qui est celle de la Turquie, de multiplier les provocations tous azimuts".
Auparavant, le porte-parole du gouvernement français Gabriel Attal avait dénoncé les "tentatives de déstabilisation et d'intimidation", saluant la "très grande unité européenne" pour soutenir la France et "ses valeurs" en faveur de la liberté d'expression.
Enfin la France a aussi saisi la justice contre un tweet du ministre délégué turc de la Culture, Serdam Can, qui a qualifié Charlie Hebdo en français de "bâtards" et "fils de chiennes".
Dans ce bras de fer, Gabriel Attal a confirmé la dissolution de l'association BarakaCity, que Paris accuse de prôner "l'islamisme radical". Son président Driss Yemmou a immédiatement demandé "officiellement l'asile politique" au président turc pour son association et lui-même qui, dit-il, "subit des menaces de mort".
Les relations entre la Turquie et la France se sont progressivement dégradées depuis l'an dernier, en raison notamment de désaccords sur la Syrie, la Libye et la Méditerranée orientale. Mais les tensions ont été exacerbées la semaine dernière lorsque M. Erdogan, accusant M. Macron de mener une "campagne de haine" contre l'islam, a mis en cause son "état mental".
Le chef d'Etat turc, qui cherche à se poser en défenseur de l'islam pour polir son image, a exhorté lundi à boycotter les produits français, mais son appel semble avoir été relativement peu suivi.
Malgré les tensions croissantes, le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a indiqué mercredi qu'Ankara n'envisageait pas "pour le moment" de rappeler son ambassadeur à Paris. La France a fait revenir samedi son représentant en Turquie qu'Emmanuel Macron a reçu mardi soir.
En pleine guerre des mots, le porte-parole du gouvernement français a tenu à "rappeler de manière très claire que ce sont des propos haineux contre des journalistes et contre une rédaction qui ont entraîné des attentats, des drames, des tueries (...) dans notre pays".
Charlie Hebdo a été victime en 2015 d'un attentat jihadiste meurtrier, après avoir publié des caricatures du prophète Mahomet. Un djihadiste mauritanien jugé au Mali a revendiqué mercredi deux attentats qui ont ensanglanté Bamako en 2015, se disant "fier" d'avoir agi "par vengeance" contre les caricatures.
Le duel entre Ankara et Paris s'inscrit dans un contexte plus large de colère dans le monde musulman à l'égard de la France en lien avec la défense des caricatures de Mahomet, dont toute représentation est taboue dans l'islam.
Le soutien de M. Macron à ces caricatures, au nom de la laïcité et de la liberté d'expression, est perçu par de nombreux musulmans comme une prise de position hostile envers l'islam. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a écrit mercredi aux dirigeants des pays musulmans pour leur demander d'agir ensemble contre l'islamophobie.
Plusieurs manifestations ont eu lieu cette semaine dans des pays majoritairement musulmans, dont un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes appelant au boycott des marques françaises mardi au Bangladesh. Mercredi, environ 300 personnes se sont de nouveau réunies à Dacca.