Face à un Borissov affaibli, percée du vote protestataire
Les Bulgares ont placé dimanche lors des législatives un nouveau parti antisystème au coude-à-coude avec les conservateurs de l'ancien 1er ministre Boïko Borissov. Ceux-ci étaient affaiblis par les accusations de corruption.

Selon les différents sondages à la sortie des bureaux de vote, les deux formations étaient créditées de 21 à 23% des voix, le tout sur fond de forte abstention.
Il s'agit d'un net recul pour le Gerb de M. Borissov qui avait obtenu plus de 26% en avril, tandis que le parti populiste du chanteur et animateur de télévision Slavi Trifonov, baptisé "Il y a un tel peuple" (ITP), fait une percée, comparé aux 17,6% réalisés auparavant.
Sur toutes les lèvres, une seule question: les partis réussiront-ils cette fois s'entendre pour former une coalition? De l'avis des experts, Boïko Borissov "ne gouvernera pas car il est isolé", même si Gerb devait au final ressortir en tête.
Le précédent scrutin a en effet signé la fin d'une ère entamée en 2009, cet ex-garde du corps, qui a marqué de sa longévité l'histoire post-communiste bulgare, n'ayant pu trouver de partenaires.
Fragilisé par des manifestations massives pendant l'été 2020, M. Borissov, 62 ans, a encore perdu du terrain depuis, face au flot de révélations du gouvernement intérimaire sur la corruption qui gangrène la Bulgarie, le pays le plus pauvre de l'Union européenne.
En face, M. Trifonov, 54 ans, est bien connu des Bulgares. Pendant des décennies, il a enflammé les foules dans ses concerts et captivé des milliers de téléspectateurs dans ses émissions satiriques.
Après une campagne discrète, "Slavi", un colosse au crâne rasé et aux lunettes noires, s'exprimera lundi matin. Mais il a prévenu: il ne s'alliera pas avec les partis du "statu quo", dont les socialistes (14%).
En revanche, il s'est dit prêt à négocier avec les représentants de ceux qui sont descendus dans la rue à l'été 2020 et sont galvanisés par le vent du changement: Bulgarie démocratique (droite), qui a recueilli plus de 13% des voix selon les premières estimations, et Debout! Mafia dehors (gauche, autour de 5%).
"Les résultats des élections viennent confirmer la transformation" du paysage politique, a commenté sur la chaîne de télévision bTV Antony Todorov, un professeur à la Nouvelle Université bulgare.
Il a appelé les trois partis protestataires (le parti de M. Trifonov, Bulgarie démocratique et Mafia Dehors) à saisir l'occasion. "Ils auront 110 sièges" sur les 240 du Parlement, "contre 95 auparavant", certes pas la majorité mais "s'il renonçaient maintenant, ce serait une catastrophe pour eux", a-t-il averti.
Les analystes mettent en garde contre "une possible spirale d'élections" et "la lassitude de l'opinion publique". L'abstention a atteint dimanche un niveau record: moins de 40% des électeurs se sont déplacés, contre 50% en avril.
En cause: les nombreux "départs en vacances" et l'installation de machines à voter dans la plupart des bureaux qui a pu décourager "les électeurs âgés ou illettrés", selon Julius Pavloff, le directeur du Centre d'analyses et marketing à Sofia.
Au-delà de ces raisons techniques, le fondateur de Bulgarie démocratique, Hristo Ivanov, évoque une "douche froide".
Et d'appeler "ce Parlement élu avec un faible taux de participation à se rendre légitime en travaillant activement", à travers notamment la réforme d'un système judiciaire dont l'inefficacité face à la corruption est régulièrement critiquée tant par les protestataires que par Bruxelles et Washington.
Croisé dans un bureau de vote de Sofia, Yulian Lazarov, un journaliste de 40 ans, disait "ne plus espérer de changements positifs". "Rien ne change jamais dans ce pays".
Victoria Nikolova, 34 ans, qui est allée voter avec son mari et ses deux fillettes, formule un voeu, dans ce pays dépeuplé: "que nos enfants n'émigrent pas quand ils seront grands".