Dans l'Argentine en choc, manifestations massives pour Kirchner
Par dizaines de milliers, les Argentins ont manifesté vendredi dans plusieurs villes d'un pays sous le choc, pour dénoncer la tentative d'assassinat jeudi soir de la vice-présidente Cristina Kirchner, qui a suscité une vague de condamnations internationales.
Le jour a été décrété férié par le président Alberto Fernandez qui a qualifié l'attentat contre l'ex-cheffe de l'Etat (de 2007 à 2015) de "fait d'une énorme gravité, le plus grave survenu depuis que notre pays a retrouvé la démocratie" en 1983.
Jeudi soir peu après 21h00, selon des images de plusieurs télévisions, un homme agissant apparemment seul, a pointé une arme de poing vers la tête de Mme Kirchner, à quelques mètres à peine, et a semblé appuyer sur la gâchette sans qu'aucun coup de feu ne parte, alors qu'elle se mêlait à des sympathisants devant son domicile, dans le quartier de Recoleta, à Buenos Aires.
"Cristina est en vie, car pour une raison qui n'a pas encore été confirmée techniquement, l'arme qui contenait cinq balles n'a pas fait feu bien qu'ayant été déclenchée", a affirmé le président Fernandez dans une allocution quelques heures après la tentative d'assassinat.
L'homme arrêté a été identifié comme Fernando André Sabag Montiel, 35 ans, de nationalité brésilienne mais de mère argentine et de père chilien, selon des sources policières citées par l'agence de presse officielle Télam. Vivant en Argentine depuis 1993, il avait été arrêté en mars 2021 pour port d'arme blanche.
Un homme, "Mario", se présentant comme son ami depuis l'adolescence, l'a décrit sur la chaîne Telefe comme un "mythomane", un "marginal" perdu depuis la mort de sa mère, et dont la vie "a souvent été influencée par l'alcool". Sur son compte Instagram, Fernando Sabag arbore de multiples looks changeants, et maints tatouages dont un soleil noir, généralement associé aux groupes nazis.
La tentative d'assassinat a aussitôt été condamnée par l'ensemble des chefs d'Etat latino-américains ainsi que par l'opposition argentine.
Le pape François, ancien archevêque de Buenos Aires, a envoyé vendredi un message de "solidarité" et de "proximité en ce moment délicat" où il dit prier pour que "l'harmonie sociale et le respect des valeurs démocratiques prévalent toujours".
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres s'est dit "choqué" par la tentative d'assassinat qu'il "condamne". Les Etats-Unis ont eux aussi "condamné fermement", le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken indiquant sur Twitter que Washington se tient "aux côtés du gouvernement et du peuple argentins dans le rejet de la violence et de la haine".
A Buenos Aires, la Plaza de Mayo face à la présidence, théâtre historique des joies et des colères de l'Argentine, était vendredi noire d'une foule compacte, tout comme plusieurs avenues y menant, dans ce qui est le plus grand rassemblement depuis de longs mois dans la capitale, à l'appel de la coalition au pouvoir Frente de Todos (centre-gauche) et de mouvements affiliés.
"Si la tocan a Cristina, que quilombo se va a armar!" (S'ils touchent à Cristina, quel bordel se prépare!), chant fétiche, résonnait au son des grosses caisses et pétards dans les rangs, bruyants et festifs, des partisans de Cristina Kirchner, à 69 ans figure incontournable de la gauche argentine.
A Santa Fe, Rosario, Cordoba, Tucuman et dans de nombreuses autres villes du pays, les médias locaux ont rapporté des marches vendredi, à l'appel de secteurs pro-gouvernement.
"Je viens avant tout soutenir la démocratie et Cristina, pour qu'elle sache qu'on est là. Et pour voir si les Argentins se réveillent, se rendent compte qu'on ne peut pas prendre ce chemin-là", déclarait à l'AFP à Buenos Aires, Adriana Spina, une retraitée de 61 ans.
Adulée par une partie de la gauche péroniste, mais personnalité clivante honnie par l'opposition, Cristina Kirchner reste sept ans après son départ de la présidence une figure influente dans la politique du pays, à un an d'une élection présidentielle pour laquelle elle n'a pas fait connaître ses intentions.
Elle est actuellement en procès pour fraude et corruption, un procès pour partie en mode virtuel, auquel elle n'assiste pas. Le 22 août, l'accusation a requis contre elle une peine de 12 ans de prison et une inéligibilité à vie, dans ce procès qui porte sur des attributions de marchés publics dans son fief de Santa Cruz (sud), pendant ses deux mandats présidentiels.
Depuis le réquisitoire, chaque soir des centaines de sympathisants se rassemblent devant le domicile de la vice-présidente en signe de soutien.
C'est lors d'un de ces rassemblements, plutôt calme jeudi soir, que s'est produite l'attaque, qui pour nombre d'Argentins dans la rue samedi, même habitués à la très forte polarisation de leur politique, marque une rupture.
"Il y avait déjà un certain niveau de violence verbale et symbolique, mais maintenant elle s'est matérialisée. C'est un tournant", s'est désolé auprès de l'AFP Diego Reynoso, politologue à l'Université de San Andrés.