Caricatures: Macron dénonce le boycott
Macron joue l'apaisement et déplore les "manipulations"
Emmanuel Macron a tenté d'apaiser la colère qui monte dans le monde musulman en assurant comprendre, dans un entretien à la chaîne Al-Jazeera, que des musulmans puissent être "choqués" par les caricatures de Mahomet. Il a toutefois dénoncé les "manipulations".
"Mon rôle est d'apaiser les choses" mais aussi "de protéger" la liberté d'expression en France, explique le chef de l'Etat dans une longue interview de près d'une heure. Elle a été diffusée, doublée en arabe, par la chaîne qatarie, très regardée au Moyen-Orient et au Maghreb.
Il regrette les "malentendus" et "beaucoup de manipulations", "parfois de dirigeants politiques et religieux". Ils sont, selon lui, à l'origine des appels à manifester et à boycotter les produits français dans plusieurs pays musulmans, du Pakistan au Mali en passant par le Qatar.
Cette campagne antifrançaise "indigne" et "inadmissible" repose, selon lui, sur le fait "que les gens ont cru comprendre que moi, j'étais favorable" aux caricatures de Mahomet publiées dans la presse, en particulier par l'hebdomadaire Charlie Hebdo, estime-t-il.
Les protestations ont éclaté en réaction à ses déclarations défendant le droit à la caricature au nom de la liberté d'expression, après la décapitation le 16 octobre par un islamiste d'un enseignant français. Il avait montré à ses élèves des caricatures du prophète de l'islam, en plein procès de l'attentat de 2015 contre Charlie Hebdo.
"Je comprends qu'on puisse être choqué par des caricatures, mais je n'accepterai jamais qu'on puisse justifier la violence. Nos libertés, nos droits, je considère que c'est notre vocation de les protéger", affirme-t-il. Cette interview a été enregistrée au lendemain d'un nouvel attentat, commis par un Tunisien de 21 ans qui a tué, avec un couteau, trois personnes dans une église de Nice.
Dans l'entretien, Emmanuel Macron revient longuement sur l'importance du principe de laïcité, "ce terme si compliqué qui donne lieu à tant de malentendus" et qui "fait de la France un pays où nous souhaitons que chacun soit citoyen quelle que soit sa religion".
"Contrairement à ce que j'ai beaucoup entendu ces derniers jours, notre pays n'a de problème avec aucune religion", et notamment l'islam, affirme-t-il, alors qu'il a été présenté comme "un ennemi de Dieu" par des manifestants à Jérusalem-est vendredi.
Détaillant les "fondements du modèle républicain", il cite aussi la liberté de la presse, soulignant que les caricatures n'ont pas été publiées à l'initiative du gouvernement mais par "des journaux libres et indépendants". Les caricatures se moquent "des dirigeants politiques", lui "le premier, et c'est normal, et de toutes les religions", selon lui.
"Ca ne veut pas dire que je soutiens à titre personnel tout ce qu'on dit, qu'on dessine", souligne-t-il. "Dans beaucoup de pays qui ont appelé au boycott" des produits français, "il n'y a plus de presse libre, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de possibilité de caricaturer, pas seulement le prophète ou Dieu ou Moïse, mais les dirigeants mêmes du pays", fait-il remarquer.
Revenir sur ce droit en France reviendrait à "instaurer" une "forme d'ordre moral ou d'ordre religieux", avertit Emmanuel Macron. Il regrette que "beaucoup de pays dans le monde" aient "renoncé à la liberté d'expression ces dernières décennies parce qu'il y a eu des polémiques, par la peur, par le chaos des réactions".
Réagissant à l'attentat de Nice, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a défendu vendredi la liberté d'expression. Il a toutefois estimé qu'elle n'était "pas sans limites" et ne devait pas "blesser de façon arbitraire et inutile" certaines communautés.
Pour sa part, le président indonésien, Joko Widodo, à la tête du plus grand pays musulman du monde, s'est élevé samedi contre la liberté d'expression quand elle "blesse l'honneur, la pureté, et le caractère sacré des valeurs et symboles religieux". L'islam, dans son interprétation stricte, interdit toute représentation de Mahomet.
Parmi les dirigeants les plus critiques, figure le président turc Recep Tayyip Erdogan. Il a promis de réagir après la publication d'une caricature de Charlie Hebdo le représentant en slip, bière à la main, et soulevant la robe d'une femme voilée.
Interrogé par Al-Jazeera sur ses relations tendues avec lui, Emmanuel Macron a déclaré souhaiter que les "choses s'apaisent" mais qu'il fallait que "le président turc respecte la France, respecte l'Union européenne, respecte ses valeurs, ne dise pas de mensonges et ne profère pas d'insultes".