« Il faut s'attendre à une hausse de 20% sur le prix du pain dès décembre »
Le prix du pain va devoir augmenter dans les semaines à venir. Et ce, de manière sensible. La raison : une hausse des prix des matières premières. Des boulangeries pourraient même devoir mettre la clé sous le paillasson… On fait le point avec le président des boulangers valaisans.
Ils ne passeront pas l’année s’ils n’augmentent pas leurs prix d’ici quelques semaines. L’association valaisanne des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs ne compte plus que 57 membres alors qu’elle en comptait quelques 280 il y a trois décennies.
Albert Michellod, président de l’association, appelle la population à se mobiliser. Avec la hausse des prix des matières premières, de l’électricité et du gaz, le secteur suffoque. Le boulanger de Leytron pointe également du doigt la grande distribution avec ses produits importés qui tuent le marché. Interview.
« Les shops ont des produits à des prix inférieurs mais qui sont importés. Et cela me gène ! »
Albert Michellod, président de l’association valaisanne des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs
En 2022, tous les secteurs souffrent de l'inflation. Vous êtes plus impactés que les autres ?
Nous sommes tout simplement de petits modèles, même si on a la chance d'avoir de plus grandes structures parmi nous. Les prix de notre matière première augmentent. Il est vrai que nus sommes des magasins de luxe. Cependant, ce qui me touche le plus, c'est que les shops (NDLR : les stations-services avec petits commerces) ont des produits à des prix inférieurs mais qui sont importés. Et cela me gène !
Augmentation du prix de 20% en décembre
Votre combat est donc de lutter contre les grandes surfaces et les shops ?
Les grande surfaces peuvent jouer sur plusieurs produits et donc baisser les prix. Nous, on ne le peut pas. Je vais alors réunir tous les boulangers valaisans pour qu'on puisse adapter nos prix. Nous n'avons pas le choix ! Ce sera de 15 à 20 pourcents de plus ! Et 20, c'est juste le seuil pour s'en sortir... Avec ce prix de l'énergie qui augmente, je me fais beaucoup de soucis.
Cette augmentation des prix, elle sera effective quand ?
Elle le sera début décembre, avant la saison d'hiver. Comme cela, les commerces de montagne pourront déjà fixer leurs prix avant que la saison débute. Les commerces de plaine le feront en même temps.
Allez-vous les imposer à toutes les boulangeries ?
On ne peut pas les imposer sinon on risque une amende: on serait sous cartel. Ce seront des prix conseillés car le but est de présenter à nos collègues un seuil où ils ne perdront pas d'argent. C'est ça le plus important.
« Nous allons encourager la population à aller vers les artisans »
Albert Michellod
Mais alors, qu'allez-vous faire pour que les boulangeries tiennent bon ?
C'est simple: nous allons encourager la population à aller vers les artisans. Je parle des artisans de toute sorte de corporation. C'est simple : l'artisanat, c'est la qualité, le savoir-faire et surtout les produits du terroir. Les gens savent ce qu'ils mangent.
Mais n'y aurait-il pas d'autres possibilités de contrer cette situation ?
Oui, il y a des solutions. Par exemple, le canton de Vaud a pris des mesures drastiques: ils fermeront un voire deux jours par semaine, ce qui permettra d'éteindre les fours pendant cette période. Mais malheureusement, cela entraînera des licenciements...
Donc pas de cela en Valais ?
Non, pas à ma connaissance. Nous sommes axés sur le tourisme donc il serait compliqué de trouver des jours où nous pourrions fermer.
Vous venez de parler de licenciements dans le canton de Vaud. En Valais, on pense à ces deux boulangeries qui viennent de fermer : Alcide Epiney et Lucus...
Ces deux fermetures m'ont fait beaucoup de mal. De plus, cela s'est passé en moins d'une année. Ils ont pris des mesures sèches: ils ont réglé l'affaire en cinq jours seulement. Ces commerces étaient sous pression et n'avaient sûrement plus la force de continuer. Ils étaient au bout car je sais que ces gens étaient des amoureux du métier.
Des fermetures à craindre
Doit-on craindre d'autres fermetures ?
Oui... Aujourd'hui, dire "non" serait malhonnête. Quand on analyse de plus près, on ne peut qu'affirmer cela. Je sais que les patrons des commerces sont à bout, le mal est profond !
Vous nous avez parlé d'augmentations pour les matières premières... Lesquelles sont concernées ?
Elles le sont toutes ! Pour exemple, les emballages ont doublé leur prix. C'est terrible ce qu'il se passe ! Les tarifs de la farine a augmenté de 10% ! Je veux rester cependant optimiste et regarder du bon côté mais on aura besoin de la population pour nous aider à sortir de cela...
N'avez-vous pas peur que votre clientèle aille désormais dans les grandes surfaces plutôt que dans une boulangerie ?
J'ai confiance en ma clientèle. Elle est fidèle depuis bientôt quarante ans. Je sais qu’ils sont au courant de la situation :on ne fait pas cela pour l’avoir mais bien pour sauver notre profession. Si je peux me permettre une métaphore... « Le boulanger est cuit ».
« On pourrait très bien trouver le croissant à 35 centimes avec des produits importés et le revendre aussi à 1 franc 60 »
Albert Michellod
Mais pourquoi faire l'effort de venir acheter son croissant ou son pain dans une boulangerie ? C'est quand même plus simple de tout acheter au même endroit...
Simplement car l'artisan aime son métier. On apprécie bosser avec des produits du terroir et de qualité. Ce serait malhonnête d'acheter ces produits à l'étranger et de les revendre aux prix normaux. Pour illustrer cela, le prix de revient d'un croissant chez le boulanger peut arriver à 90 voire 95 centimes et on le revend à 1 franc 60. Mais on pourrait très bien trouver le croissant à 35 centimes avec des produits importés et le revendre aussi à 1 franc 60. C'est malhonnête ! Et je pense que l'artisan ne l'est pas.
Et vous, en tant que président de la faitière : quel est votre rôle dans cette situation ?
Pas de miracle ! Il faut qu’on aille vers les gens pour sauver notre artisanat. On a besoin maintenant de la population, après c'est trop tard !