Quand les libéraux et les conservateurs se livraient bataille dans les Gorges du Trient
C’était il y a près 200 ans, mais l’événement a des répercussions encore aujourd’hui. Le combat meurtrier du Trient reste emblématiquedu fossé entre libéraux et conservateurs du canton. Dans le cadre de notre série sur les vallées latérales, coup de projecteur sur ce combat historique.
Nous sommes au début du 19e siècle, la Suisse vit une période de guerre civile et la situation en Valais est extrêmement tendue. Deux camps s’affrontent. D’un côté se trouve la Vieille Suisse, représentée par les riches familles conservatrices haut-valaisannes qui ont le pouvoir à ce moment-là. Elles sont alliées à l’Évêque qui a des représentants à la Diète, ce que l'on pourrait appeler le Parlement.
De l’autre côté, on retrouve les Jeunes Suisses. C’est le camp des libéraux – les « progressistes », dirait-on aujourd’hui – surtout des commerçants du Bas-Valais. Eux, désirent réformer la démocratie. Leurs idées viennent de la Révolution française et des Lumières.
Le coup de pied dans la fourmilière
« Cette Jeune Suisse émerge avec les idées de Giuseppe Mazzini, qui est un révolutionnaire italien qui s'est réfugié en Suisse et qui voudrait une démocratie représentative, explique Véronique Pignat-Borgeat, historienne et spécialiste mondiale de la bataille du Trient. Des Valaisans comme Alexis Joris et Maurice Barman se retrouvent dans ces idées et veulent créer une nouvelle société plus égalitaire et avec plus de liberté que ce soit au niveau du commerce, mais également de l'instruction, un milieu fortement contrôlé par l'Église.»
Le combat est d'abord idéologique et se joue à la Diète. Les deux camps se dévisagent. Mais face au blocage, la situation s’envenime et glisse petit à petit vers la violence. Les premières escarmouches ont lieu à Grimisuat, puis dans le Val d’Entremont. Elles culminent en ce jour funeste du 21 mai 1844.
Les quatre principaux protagonistes du combat du Trient: Alexis Joris, Maurice Barman (pour la Jeune Suisse); Edouard Wolff et Guillaume de Kalbermatten (pour la Vielle Suisse).
Alors que la Jeune Suisse se replie depuis Ardon vers Martigny, essayant une dernière fois de se tourner vers la négociation – et surtout éviter le bain de sang contre les troupes de Edouard Wolff et Guillaume de Kalbermatten – les Conservateurs leur tendent un guet-apens dans les Gorges du Trient. « Ils installent leurs soldats sur le Mont des Tsarfas, qui se trouve sur la rive droite du Trient. Les soldats de la Vielle Suisse qui sont représentés surtout par des gens qui viennent de l'Entremont, de Salvan et du Val d'Illiez s'installent sur les hauteurs, mais également de l'autre côté de la rive du Trient et au pied du pont, qui était alors un pont couvert. Le massacre est violent. On dénombre une trentaine de morts. La victoire revient aux Conservateurs.
Une histoire longtemps taboue
Longtemps après, l’événement reste tabou. «Pendant longtemps, on n'en a pas parlé dans la région de Vernayaz, raconte Véronique Pignat-Borgeat. Durant tout le 20e siècle, il y a eu cette opposition entre les Conservateur et, disons, les Radicaux. De nombreuses familles se sont entredéchirées et ont gardé des haines ancestrales. Aujourd'hui on ne sait parfois plus pourquoi on doit détester telle ou telle famille... Ça ce sont les racines de ce combat du Trient.»
«De nombreuses familles se sont entredéchirées et ont gardé des haines ancestrales.»
Véronique Pignat-Borgeat, historienne et spécialiste mondiale de la bataille du Trient.
Pour elle, c'est pourtant important d'en parler, si ce n'est pour comprendre d'où l'on vient. D'autant que finalement – après l'épisode du Sonderbund – la tradition du consensus s'est développée en Suisse. Les minoritaires ont trouvé leur place et la démocratie représentative a finalement été mise en place.
«Cette histoire fait écho à tout ce qui se passe encore aujourd'hui à la Constituante.»
Véronique Pignat-Borgeat, historienne et spécialiste mondiale de la bataille du Trient.
Reste que dans le Canton, les rivalités entre Haut et Bas du canton sont toujours palpables, même si largement moins meurtrières. «Cette histoire fait écho à tout ce qui se passe encore aujourd'hui. Je pense aux travaux que mène la Constituante. Les élus sont toujours et encore en train d'essayer de trouver un équilibre entre la représentation romande et haut-valaisanne qui souhaite se faire entendre – même si aujourd'hui le rapport de force s'est inversé par rapport au début du 19e. » Elle note d'ailleurs que déjà à l'époque était discutée la solution à deux cantons. Comme quoi, les rivalités ne datent pas d'hier.