Portrait du mois: André Svitac, l’ancien exilé de Pologne au service des jeunes hockeyeurs valaisans
Depuis plusieurs années, il joue un rôle important dans la formation des jeunes hockeyeurs du canton. Le Valais, dernière étape en date du parcours de vie hors du commun d’André Svitac. Portrait.
Né en juin 1963 à Nowy Targ, quelques 400 kilomètres au sud de Varsovie, André Svitac s’appelait alors Andrzej Swistak. Un nom «à la polonaise» qui l’a accompagné durant les vingt premières années de sa vie. Le tournant? Sa participation aux championnats du Monde des moins de 20 ans en 1983 du côté d’Anglet dans les Pyrénées-Atlantiques. «À cette époque, la vie en Pologne était très difficile. On recevait à la fin de chaque mois des tickets pour acheter de la viande, des bonbons, des oranges…», se rappelle-t-il. «Grâce au hockey, j’ai eu la chance de voyager et de voir comment la vie se passait dans les autres pays. Durant ces Mondiaux, on a vraiment pris conscience avec l’un de mes coéquipiers que cela ne pouvait plus continuer ainsi et que c’était le moment ou jamais pour agir.»
Le taxi plutôt que l’avion
Les deux compères disputent donc le tournoi comme si de rien n’était aux côtés de leurs coéquipiers. Avant de leur faire faux bond au moment de rentrer au pays. «À la fin du dernier match, on a pris nos sacs et pendant que l’équipe montait dans l’avion, nous avons pris un taxi pour retourner à la patinoire où une famille polonaise nous attendait.» Quelques années plus tard, ils obtiendront le passeport tricolore, Andrzej Swistak devenant «André Svitac» et Dzislav Kozslowsky «Didier Causlovsqui».
«C’était une surprise générale pour tout le monde et une grande déception pour mes parents qui n’ont plus pu me voir pendant un bon bout de temps.» André Svitac
Cette décision très forte de ne pas rentrer à la maison, André Svitac assure l’avoir prise durant la compétition : «On y avait pensé avant mais c’est en logeant à Biarritz, au bord de l’Océan, que l’on s’est vraiment décidé.» Il a ensuite fallu affronter les réactions, très virulentes, notamment des membres de la famille. «Personne ne s’y attendait. J’avais une super situation, j’étais l’un des meilleurs espoirs en Pologne, j’avais déjà un contrat de signé dans un grand club dont mon père était un membre du comité. C’était donc une surprise générale pour tout le monde et une grande déception pour mes parents qui n’ont plus pu me voir pendant un bon bout de temps.»
De lourdes sanctions
Car oui, cet acte a eu des conséquences et les deux «fugitifs» ont été assez lourdement sanctionnés. «Durant nos deux premières années en France, nous avons été suspendus et on ne pouvait donc pas jouer dans ce pays. Mais bon, on a trouvé une combine pour aller en Espagne où nous sommes devenus champions avec San Sebastian», sourit l’ancien attaquant. «Pendant sept ans, j’ai été radié de l’équipe nationale, je ne pouvais participer à aucun rassemblement. Ce n’est qu’en 1990, après que le mur de Berlin soit tombé et que tout soit redevenu «à la normale» que j’ai pu être rappelé pour défendre les couleurs de mon pays.»
Un retour en grâce marqué, notamment, par une participation aux Jeux Olympiques d’Albertville en 1992. Un événement qui, tout un symbole, se déroulait donc…en France! «La même année, j’ai eu la chance de vivre les Mondiaux du côté de Prague. Ce sont des souvenirs merveilleux. Je pense que pour tout sportif, participer à de telles compétitions est une sorte de finalité dans sa carrière. Je souhaite en tous cas à tout le monde de vivre ça un jour.»
«À l’époque je m’intéressais davantage à la qualité de vie qu’au niveau du hockey en France.»André Svitac
La vie, le parcours d’André Svitac est donc intimement lié à l’Hexagone, un pays pourtant loin d’être réputé pour son hockey sur glace. «C’est pas faux mais vous savez, à l’époque je m’intéressais davantage à la qualité de vie qu’au niveau du hockey. Et puis bon, j’ai quand même eu la chance de jouer dans certains des plus grands clubs du pays.» D’Anglet au Havre en passant par Gap, Bordeaux, Reims, Toulouse ou Lyon, le Franco-Polonais a roulé sa bosse comme on dit. Ce n’est toutefois aucun de ces clubs qu’il cite en premier lorsqu’on lui demande quelle adresse l’a le plus marqué: «Je dirais plutôt Rouen où je suis devenu responsable du centre de formation une fois ma carrière de joueur terminée. J’étais en charge de près de 500 jeunes et la structure n’avait rien à envier à certains grands clubs de Suisse. Sinon, c’est vrai que j’ai beaucoup aimé Bordeaux où, non seulement, la ville est très agréable mais où les supporters sont aussi particulièrement chauds. Je me souviens que l’ambiance y était assez incroyable.»
«Entraîner était d’autant plus important pour moi que je n’avais pas de famille, pas beaucoup d’amis, je passais tout mon temps sur la glace.»André Svitac
Avant même de ranger ses patins de joueur, c’était en 2004 du côté du Havre, l’ex-espoir polonais savait de quoi il voulait que son avenir soit fait. «Dès mes 23 ans, j’ai demandé à pouvoir entraîner des juniors en parallèle à ma carrière car j’aimais ce contact avec les jeunes. C’était d’autant plus important pour moi qu’en vivant à l’étranger, je n’avais pas de famille, pas beaucoup d’amis non plus, je passais tout mon temps sur la glace. Je mettais donc beaucoup de volonté et d’envie pour développer le talent de mes protégés.»
Un titre et une promotion dès sa première saison dans le monde professionnel
Formateur de talent, une étiquette qui colle à merveille à la personnalité d’André Svitac. Lequel s’est quand même frotté au monde professionnel en reprenant les rênes des Rapaces de Gap en 2008. «C’était ma première expérience à la tête d’une première équipe. Dès mon engagement, ils m’ont fixé un objectif qui était clair: remonter le club en Ligue Magnus (ndlr: 1ère division française). Ils couraient après cette promotion depuis plusieurs années et dès ma première saison, on a fait le titre et on a grimpé. J’avais su trouver les mots et j’avais installé une bonne ambiance pour y parvenir. Depuis ce jour, ils n’ont plus quitté l’élite.» Mieux que ça, les Rapaces se sont récemment adjugé le titre de champion à deux reprises (2015 et 2017).
De l’élite en France à…Villars
Mais alors qu’il semblait bien installé à la tête de la formation des Hautes-Alpes, André Svitac décidait de changer d’air deux ans après son arrivée. Cap sur la Suisse et le Villars HC, alors pensionnaire de 1ère ligue. «J’avais un copain, Alain Pivron, qui travaillait à Genève et c’est lui qui m’a dit que le club cherchait quelqu’un pour entraîner sa première équipe mais, aussi, pour s’occuper du développement des jeunes. J’ai postulé, les dirigeants sont venus me voir à Gap puis je me suis déplacé ici et on a trouvé un arrangement qui convenait aux deux parties.» Il est ainsi passé de l’élite du hockey français à la troisième division helvétique. Une sorte de pas de retrait? «Non, je ne crois pas. Je suivais déjà de loin ce qui se passait en Suisse et je savais que c’était un pays de hockey contrairement à la France. Je rêvais donc de venir m’établir ici. Surtout qu’au niveau de la formation, les structures sont au top du top.»
Il est finalement resté trois ans dans la station vaudoise, à la tête d’un club double-champion de Suisse dans les années soixante, avant de descendre en plaine et de s’engager avec le HC Monthey-Chablais. À la patinoire du Verney, il a notamment dirigé la première équipe mais surtout, il a pris un rôle très important auprès des juniors. «Aujourd’hui, j’ai la chance d’être le seul professionnel dans notre structure. J’ai plusieurs missions, à commencer par celle d’organiser les entraînements et le planning des matches. Je dois aussi former les coaches et je suis de plus en plus présent sur la glace pour encadrer toutes les équipes, des U7 aux U20. Et depuis quelques temps, je suis aussi responsable de la sélection valaisanne des U14.»
«J’ai toujours eu de la peine à comprendre pourquoi on ne travaillait pas tous ensemble ici en Valais.»André Svitac
André Svitac a donc participé aux discussions qui ont récemment abouti sur le choix du mouvement juniors de Monthey-Chablais et de Portes du Soleil de quitter la structure de Valais-Chablais Futur (celle du HCV Martigny et du HCV Sion) pour rejoindre celle de Valais-Wallis Future (Sierre et Viège). «J’ai toujours eu de la peine à comprendre pourquoi on ne travaillait pas tous ensemble ici en Valais. Et dès que j’ai eu la chance de mettre un pied au sein de l’association cantonale, j’ai compris qu’il fallait agir pour faire bouger les choses. Les structures dans le haut du canton sont mieux développées que celles que l’on trouve dans le Bas-Valais. Je pense donc que ce choix de rejoindre Viège et Sierre nous permettra de bénéficier de plus de professionnalisme. Et on ne ferme pas la porte à une nouvelle collaboration avec Sion et Martigny. Nous, tout ce qu’on espère, c’est que tout le monde travaille main dans la main à l’avenir.»
Une seule solution pour l’avenir: rassembler les forces
Le Franco-Polonais est donc catégorique concernant le futur. Pour que celui-ci soit radieux pour le hockey valaisan: il faut que toutes les forces se rassemblent! «C’est ce qui se fait partout ailleurs. Si on prend par exemple Genève ou Fribourg, ces régions mettent tout en place pour travailler à large échelle et on voit que leur première équipe est au top. C’est donc ce qu’on veut mettre en place ici aussi. On aimerait développer la formation à tous les niveaux et n’oublier personne. Il faut que même les joueurs qui ne sont peut-être pas les plus talentueux puissent s’entraîner correctement toute l’année afin que chacun ait du plaisir.»
Désormais solidement établi auprès des jeunes, André Svitac a-t-il définitivement tiré un trait sur une potentielle carrière d’entraîneur de haut niveau? «Écoutez, je suis très bien où je suis, même si j’aurais aimé avoir une équipe d’élite à ma charge, comme cela se fait dans les grands clubs. Mais j’ai pris moi-même cette décision de travailler même avec les tout petits car c’est pour moi la base de la pyramide. J’ai la chance d’avoir la confiance du comité qui me laisse carte blanche pour m’organiser et on voit que les résultats paient: de plus en plus de joueurs percent au haut niveau.»
«Monter sur la glace avec les jeunes, c’est juste de l’amusement. Je ne me rends même pas compte que je travaille.»André Svitac
Et s’il prend autant de plaisir, même avec les plus jeunes, André Svitac l’explique très simplement. «Monter sur la glace avec eux, c’est juste de l’amusement. Je ne me rends même pas compte que je travaille, je vois juste le sourire sur leur visage», explique-t-il. Mais ses jeunes protégés, savent-ils qui il est réellement? «Certains me demandent «tu as joué au haut niveau toi?», je leur explique donc mon parcours et je crois qu’ils sont très contents que je sois là pour les entourer et leur donner des conseils.»
Son fils suit ses traces en faisant…le parcours inverse
Parfaitement intégré à la vie en Suisse et dans le Chablais, c’est désormais depuis ce que l’on peut définir comme sa «troisième patrie» que le natif de Nowy Targ suit le parcours de son fils Alexis, âgé de 23 ans. «On peut presque dire qu’il a fait le parcours inverse au mien. Il a été formé ici en Suisse puis il est parti en Pologne et, désormais, il est professionnel en France (ndlr : il joue à Cholet en 2ème division). Et il est aussi passionné par la formation puisqu’il entraîne également une équipe de jeunes.» Alors, peut-on imaginer voir André et Alexis ensemble derrière la bande à l’avenir? «Ce serait mon rêve c’est clair!», s’exclame le paternel. «Mais bon, lui il est au début de sa carrière, il a beaucoup d’ambition et il compte bien patiner derrière le puck encore de longues années.»
Se retrouver aux côtés de son fils à la tête d’une équipe, bien que ce ne soit peut-être pas pour tout de suite, serait en tous cas assurément une belle page de plus dans l’histoire hors du commun qui lie André Svitac au monde du hockey sur glace.