Higinio Ferreira: «Je suis devenu capitaine du Portugal en surfant sur Facebook»
À 38 ans, Higinio Ferreira arpente les patinoires du canton depuis près de trois décennies. S’il n’a jamais évolué au-delà de la 2ème ligue, ce Valaisan d’adoption peut se targuer d’être un joueur international. Il est même le capitaine de la sélection portugaise.
Quatre mois séparent la naissance d’Higinio Ferreira de celle de Cristiano Ronaldo. Un monde aussi. Alors que le cadet des deux est une icône, un emblème pour tout un peuple, l’aîné est quasi anonyme. L’un parcourt les terrains de foot du monde entier, l’autre écume les patinoires – essentiellement valaisannes - des ligues amateurs de hockey depuis une trentaine d’années. De Manchester au Valais, rien ne semble les relier. Et pourtant: tous deux possèdent un point commun. Ils sont capitaine de leur Seleção respective.
Plus fasciné par le hockey que par le foot
Ses premiers pas sur la glace, Higinio Ferreira les effectue dans la foulée de son arrivée en Suisse. «J’avais sept ans. Comme tous les immigrés portugais, c’est le travail qui a conduit ma famille ici.» Si le ballon rond fait figure de religion au pays, les terrains verts n’attirent pas le jeune lusitanien. «La glace, la vitesse du jeu, la particularité de porter des patins me fascinaient bien plus. C’est ce qui m’a convaincu de m’orienter vers le hockey.» Les débuts sont pour le moins laborieux. «La première fois que j’ai mis les pieds à la patinoire, j’avais des pantalons en soie. Je peux vous dire que je me les suis pelés!»
«Mes cousins au Portugal ne comprenaient pas que l’on se déplace sur la glace avec des lames.»Higinio Ferreira
Cette mise en jambes mémorable ne refroidit aucunement Higinio Ferreira. «Mes cousins au Portugal n’en revenaient pas. Ils ne comprenaient pas que l’on se déplace sur la glace avec des lames.» Ses parents également peinent à partager sa passion. «Ma mère surtout. Elle n’est d’ailleurs presque jamais venue me voir jouer. Quant à mon père, il m’a toujours soutenu mais ce n’est pas lui qui me parlait de technique ou qui me disait si j’avais fait un bon match ou non.»
Jamais plus haut que la 2ème ligue
De ses débuts à aujourd’hui, le Sédunois est toujours resté dans la région: «J’ai joué à Sion et dans ses clubs partenaires.» Dernière «destination» en date: le HCV Nendaz dont il a porté le maillot de 2015 à ce printemps. Dès l’hiver prochain, il regagnera la patinoire de l’Ancien-Stand où il a relancé le HCV Sion II. Défenseur reconverti au poste d’attaquant, il n’a jamais évolué à un échelon supérieur à la 2ème ligue.
Malgré ce statut de hockeyeur amateur, Higinio Ferreira est donc un «international». Il porte le maillot rouge et vert de la sélection portugaise depuis l’automne 2017. «Comme tout bon portugais qui rentre au pays, j’étais allé voir un match de foot. Le classico. Benfica-Porto. En surfant sur Facebook, j’ai alors vu qu’un entraînement de la sélection de hockey avait lieu le lendemain.» Higinio Ferreira n’hésite pas. Il se rend à cet entraînement. Durant une heure, il participe à la séance organisée sur la seule patinoire du pays. Une surface rectangulaire située…dans un centre commercial de la capitale. «C’est comme ça que l’aventure a débuté et que je me suis retrouvé capitaine», sourit-il.
Un coach drafté en NHL
À la tête de cette Seleção de la glace: un Canadien. L’Ontarien Jim Aldred, drafté à l’époque par les Sabres de Buffalo en NHL. «On ne peut que le remercier de rester avec nous. À la base, il a accompagné sa femme, dont les parents étaient en fin de vie, au Portugal. Il a ensuite décidé de s’investir pour le hockey au pays et on peut presque dresser un parallèle avec l’histoire de Rasta Rockett. Il essaie d’inculquer une philosophie, de développer un sport méconnu de la plupart.»
«Dans un pays qui compte trois quotidiens consacrés exclusivement au foot et un seul au reste de l’actualité, se faire une place n’est pas facile.»Higinio Ferreira
À l’heure actuelle, une douzaine de joueurs de la sélection lusitanienne provient des ligues suisses amateurs. Pour la plupart, ils ont été démarchés par Higinio Ferreira lui-même. «Sans être gonflé, c’est vrai que je suis un peu plus que le capitaine de cette équipe. C’est moi qui m’occupe du lien entre les «Helvètos» et le reste du groupe.» De ses débuts en sélection à aujourd’hui, le Valaisan d’adoption a pu constater une certaine évolution dans le regard que portent les gens au hockey. Même si beaucoup de chemin reste à parcourir. «Dans un pays comme le nôtre, qui compte trois quotidiens consacrés exclusivement au foot et un seul au reste de l’actualité, se faire une place n’est pas facile. Par contre, sur les réseaux sociaux, on est assez suivis. Cristina (ndlr: l’épouse du sélectionneur) fait des lives pendant les matches qui sont regardés aux quatre coins du monde. Les choses se construisent gentiment. On manque juste encore un peu de médiatisation et, surtout, de structure.»
Projet de «vraie» patinoire à Lisbonne
Dans l’immédiat, la priorité est la construction d’une nouvelle patinoire. Une «vraie», aux dimensions officielles. «Un projet est en bonne voie dans la capitale. C’est important car pour l’instant, la seule surface de glace sur laquelle on peut vraiment s’entraîner, c’est un tiers de patinoire. Sur celle du centre commercial, les pucks sont interdits. On est obligés de jouer avec des balles de tennis…»
«Être bras dessus, bras dessous au moment de chanter l’hymne, c’est assez fou.»Higinio Ferreira
Si en Suisse, chaque sport d’hiver dispose de sa propre instance, au Portugal, tous sont régis par la même: la fédération portugaise des sports d’hiver. «On se partage une enveloppe de fonds accordés par l’état. Une enveloppe dans laquelle se sont déjà servis le foot, le futsal et le beach-soccer. La réalité, c’est ça. On se contente de miettes.» Reste que là aussi, les choses semblent aller dans le bon sens. Pour la première fois, Higinio Ferreira et ses coéquipiers n’ont pas eu à mettre la main à leur propre porte-monnaie pour se rendre en Bavière en mai dernier pour y disputer la Development Cup. Au programme: cinq matches face à la Colombie, au Liechtenstein, à l’Algérie, à Andorre et à l’Irlande. Bilan: cinq défaites, huit buts marqués, cinquante-trois encaissés. «On aurait aimé d’autres résultats évidemment. Mais au-delà de ça, l’émotion de représenter notre pays est toujours la même. Être bras dessus, bras dessous au moment de chanter l’hymne, c’est assez fou.»
Les Mondiaux à moyen ou long terme?
À ce jour, le Portugal croise donc le fer avec des sélections de «seconde zone». Avant, à moyen ou long terme, d’ambitionner participer un jour à des championnats du monde. «C’est possible», assure Higinio Ferreira. «Mais pour ça, il nous faut cette patinoire aux dimensions officielles. Cela permettra de former les jeunes et d’attirer des éléments plus cotés. Je rêverais par exemple que Justin Azevedo (ndlr: attaquant des ZSC Lions) assume sa double nationalité.»
«Ce qu’on fait, on ne le fait pas pour nous. On pose simplement une première pierre à l’édifice qui doit servir aux générations futures.»Higinio Ferreira
Lui-même âgé de 38 ans, le Sédunois sait l’importance de rajeunir un cadre dont la moyenne d’âge frise les 35 ans. «Pour ma part, dès que j’entends parler d’un joueur qui a la vingtaine et qui serait susceptible de rejoindre l’aventure, je le contacte. Ce qu’on fait, on ne le fait pas pour nous. On pose simplement une première pierre à l’édifice qui doit servir aux générations futures.»