Remontées mécaniques valaisannes : plus d'un tiers des salaires inférieurs aux minima
36% des plus de 4000 employés des remontées mécaniques valaisannes touchent un salaire inférieur à celui prévu par le contrat-type de travail de la branche. Plus de la moitié ne bénéficie pas des paliers d’augmentation que prévoit ce contrat. Une situation que le canton ne peut pas tolérer.
La situation est déjà devenue une affaire d’Etat...
Des 13èmes salaires qui ne sont pas versés pour un employé sur 8…
Des heures supplémentaires sans la majoration légale pour 9 employés sur 10…
Des indemnités suspendues lorsque les intempéries empêchent de skier… Et ce n’est pas tout…
On ne parle pas ici d’une PME lambda mais bien des sociétés de remontées mécaniques valaisannes, plus d'une sur deux.
Alertés par des cas dénoncés, la Commission cantonale tripartite a confié en juin 2021 au "Service de protection des travailleurs et des relations du travail" (SPT), un contrôle général de toutes les sociétés sur la période 2018 à 2021.
Une analyse pointue et complète qui ne laisse que peu de doutes
Le rapport qui découle de l’analyse de 65 sociétés est limpide : si 12 d’entre elles sont affiliées à l’Etat et sont dans les clous, pour 39 des 53 autres, l’enquête démontre une pratique avérée de sous-enchère salariale.
21 vont jusqu’à appliquer pour 50 à 85% de leurs employés des tarifs inférieurs aux minimas.
L’application du contrat-type de travail n’a pas force obligatoire. Sauf que ces éléments peuvent constituer une pratique de "sous-enchère abusive et répétée". Dans ce cas, la profession ou la branche, la Confédération ou les cantons peuvent édicter des Contrats-types de travail (CTT) prévoyant des salaires minimaux impératifs. Ces salaires minimaux s'appliquent dans toute la branche et on ne peut y déroger qu'en faveur du travailleur, rappelle le SPT sur le site du canton.
Globalement, 36% des 4000 employés de la branche sont en dessous des salaires prévus par le contrat-type de travail en vigueur pour la branche, un fait établi, relève la présidente de la commission, Chiara Meichtry.
Dans la série des points sombres, un employé sur deux ne bénéficie pas des paliers annuels de progression salariale. Les travailleurs saisonniers, 70%, sont les plus touchés et dans les différents secteurs d’activité, les conducteurs de dameuses et tout le domaine technique sont aux premières lignes.
La pratique démontrée sur les trois années sous revue atteste que cette situation n’est pas ponctuelle mais bien structurelle.
Pas question pour le canton de tolérer de telles pratiques
Deux départements sont concernés : celui de l’économie et de la formation à charge de Christophe Darbellay et le département de la santé, des affaires sociales et de la culture, piloté par Mathias Reynard.
Les deux conseillers d'Etat se refusent à "tolérer ces écarts" et "exigent que le secteur corrige cette situation". "Les entreprises de remontées mécaniques, en tant que colonne vertébrale du tourisme valaisan, doivent assumer de manière exemplaire leur responsabilité sociale".
Pour y parvenir, "les chefs de département invitent les partenaires sociaux du domaine à s'entendre sur une solution bénéfique pour l'ensemble des parties, dans le cadre des négociations en cours autour d'un nouveau CTT"
La commission cantonale tripartite a déjà fixé une date limite, avant la fin du mois, pour la procédure de consultation. Elle envisage de rendre obligatoire les salaires minimaux à l'issue de ces négociations.
Le Conseil d’Etat tient le couteau par le manche
Dans tous les cas, le canton dispose de gros atouts. La loi sur l’encouragement des remontées mécaniques (LERM) en vigueur depuis le 1er mars 2019 est claire, avec des obligations pour les bénéficiaires de soutien étatique.
Au chapitre 5 sur le financement et l'octroi des aides, les dispositions de l’article 17 posent des garde-fous que les sociétés doivent impérativement respecter, notamment l’observation des "éventuelles conventions collectives et contrats-types de travail locaux et nationaux" (alinéa 2, lettre a) ou les "dispositions sur la sécurité au travail et la protection de la santé sur les places de travail" (alinéa 2, lettre b).
Au cas où les dispositions légales ne sont pas respectées, "le Conseil d'Etat peut exiger du bénéficiaire des aides financières leur remboursement immédiat, intégral ou partiel".
Le 3 mai dernier, la faîtière des remontées mécaniques valaisannes a qualifié la saison hivernale 2021-2022, de "hors du commun et exceptionnelle", avec une hausse de 31 % par rapport à l’hiver 2020-21, de 23 % par rapport à l’hiver 2019-20, interrompu au 13 mars 2020, ou encore de 3 % par rapport à l’hiver 2018-19 du dernier exercice.
Les syndicats se disent scandalisés et appellent l’Etat à la rescousse
Le pourcentage très important de sous-enchère salariale démontre la gravité et l’ampleur du dumping que font subir à une partie importante de leur personnel les entreprises de remontées mécaniques valaisannes, s’insurge le syndicat Unia qui, "face à ce scandaleux constat, exige d’une part, l’édiction d’un contrat-type de force obligatoire rendant impératif le respect des salaires minimaux dans la branche.
D’autre part, Unia exhorte l’Etat à n’octroyer aucune aide financière, sous quelle que forme que ce soit, aux entreprises qui ne respectent pas le contrat type édicté par l’Etat.
Les entreprises qui auraient pratiqué du dumping salarial, devraient également rembourser les éventuelles aides perçues découlant de la loi sur l'encouragement des remontées mécaniques.
Des propositions déjà déposées par les remontées mécaniques valaisannes
En avril 2021, en pleine situation de pandémie, une commission tripartie (Service de la protection des travailleurs / SPT, Syndicats et RMV) s’est penchée sur les conditions salariales en vigueur. Rapidement, explique la faîtière des remontées mécaniques (RMV), "il s’est avéré que le CTT existant n’était plus adapté au marché actuel et que des informations non confirmées sur de possible cas de sous-enchère avaient été relevées".
Les RMV ont pu mener une enquête auprès de ses membres et un rapport a pu être rapidement produit par le SPT. Sur cette base, les trois parties de la commission "ont abouti dans un temps record" à trois propositions : un salaire mensuel minimal à 4000 francs (sur 13 mois), une "valorisation (palier de progression) des années ou saisons de travail à 650 francs par année et un nouveau CTT à soumettre au conseil d’état dans le courant du mois de juin pour approbation. Cerise sur le gâteau, les parties envisagent - elles aussi - de rendre obligatoire, à terme, l’application de la nouvelle grille salariale, dans le but d’éviter une problématique de sous enchère.